Texte d'une intervention aux journées d'études de l'Aseca du 17 octobre 2015.
Reprise, avec très peu de changements, de celui de février 2015.
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JOURNÉE D’ÉTUDES DU 17 OCTOBRE 2015
LE VOTE DES ÉTRANGERS ENCORE D’ACTUALITÉ EN FRANCE
Quel droit de vote revendiquer,
municipal, local, européen, national ?
Ces journées devraient déboucher sur des idées nouvelles. En demandant à un bientôt octogénaire d'intervenir, vous avez plus de probabilités (pas de chances) d'avoir des répétions que des innovation. C'est pourquoi ce sera aujourd’hui ma dernière intervention publique.
L'Aseca a la diabolique persévérance de poser, une fois de plus, la question du droit de vote des étrangers et le mauvais goût de la poser au moment où la France et l'Europe sont en train de se perdre, non avec les étrangers qui résident sur le territoire et leurs revendications mais avec ceux qui voudraient y résider avec ou sans droit de vote.
Une fois de plus, ce n'est pas le moment, il y a des questions plus urgentes. Ce n'est d'ailleurs jamais le moment. Depuis quarante ans au moins !
Mais l'ouverture partielle ou totale, momentanée ou pérenne, des frontières doit être accompagnée de l'égalité des droits pour les étrangers qui sont là, pour ceux qui arrivent, pour ceux qui viendront demain. Non seulement par passion d'égalité, non seulement parce que l'égalité est dans la déclaration des droits de l'Homme, préambule de la Constitution, et sur les frontispices des établissements publics mais parce que la liberté sans l'égalité, est lourde de conséquences.
Un article du Monde (1) pose enfin la question de l'ouverture des frontières. Dans cet article, une citation de Thomas Guénolé : « l'ouverture totale des frontières est possible dès demain, à condition d'accepter l'idée d'une priorité nationale dans l'accès à l'emploi... une ouverture totale des frontières conduirait inévitablement à réserver les allocations familiales, la couverture publique minimale de santé et l'école publique gratuite à la population française...». Pour Thomas Guénolé, la liberté sans l'égalité permettrait à « une gauche audacieuse » de réinvestir le sujet des migrations. A une époque où les inégalités se creusent aussi bien à l'échelle internationale que sur le territoire national (sauf en 2013 en France), la « gauche audacieuse » qui a déjà adopté le libéralisme doit aller jusqu'au bout et abandonner la lutte pour l'égalité et s'emparer de la préférence nationale et du creusement des inégalités !
Pour que le Royaume-Uni reste dans l'Union, David Cameron, à l'avant-garde à la 'gauche audacieuse' demande, entre autres : « la suppression des droits sociaux pour les travailleurs européens pendant les 4 premières années de leur séjour ». (2) Quant aux travailleurs non européens...
Il est suivi par le président du Medef, lui aussi en faveur de l’accueil des migrants pour de multiples raisons par « fraternité... » « ils ont souvent un fort niveau d’éducation, sont la plupart du temps jeunes, formés...» et, plus discrètement, parce que cela permettrait d'accélérer « enfin nos réformes pour être capables de les intégrer pleinement dans la durée » (3). Bien entendu les réformes prônées par le Medef sont celles qui accentuent la précarité et les inégalités.
Comme le dit,de façon plus explicite, le conseil économique de la CDU allemande qui propose, pour « pouvoir rapidement intégrer les nouveaux réfugiés sur le marché du travail allemand », une dérogation à la récente loi sur le salaire minimum .
Le suffrage universel et le droit de vote des étrangers
Le mot universel a une signification claire : « qui s'applique à toutes et à tous, qui vaut pour toutes et pour tous ». Mais le « suffrage universel » a eu, dans l'histoire de France, plusieurs applications et n'a jamais été, n'est toujours pas universel.
Réservé aux hommes dans la période révolutionnaire (1792) et lors de son instauration « définitive » en 1848, il est étendu aux femmes en 1944, aux militaires en 1945 et aux 18-21 ans en 1974.
Certains parlent de l'étendre aux jeunes de 16-18 ans comme cela existe déjà dans certains pays (Argentine, Autriche, Cuba, Brésil, certains Länder en Allemagne pour les élections locales, Jersey, Guernesey, île de Man et en Écosse pour le référendum sur l'indépendance de 2014).
Lors des différentes extensions du « suffrage universel » à de nouvelles couches de la population, le droit de vote et d'éligibilité a été attribué pour toutes les élections. Ce n'est pas le cas avec le traité de Maastricht (1992) : le droit de vote et d'éligibilité a été ouvert aux seuls nationaux de l'un des États membres de l'Union européenne résidant sur le territoire national (les extra-communautaires en sont donc exclus), pour les seules élections municipales et européennes, sans possibilité d'être élus maire, maire adjoint, grand électeur (pour les élections sénatoriale) et sans pouvoir obtenir une délégation du maire (1994).
Le suffrage universel est, de façon évidente, une conquête progressive, dont les étrangers ont toujours été exclus à l'exception de périodes révolutionnaires : Constitution de 1793 (jamais appliquée) et Commune de Paris... et le traité de Maastricht avec les restrictions déjà signalées.
Au niveau des principes, l'égalité est proclamée,« les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » et le suffrage est dit « universel ». En pratique, il n'en est pas de même : l'égalité des personnes, l'universalité du droit de vote demeurent des objectifs.
La revendication du droit de vote pour tous découle de ces principes. Elle n'est légitimée ni par ce que font les autres pays, des exemples seront cependant donnés de pays qui ne se glorifient pas d'avoir inventé les droits de l'Homme, ni par ce que veulent les pays d'origine, ni par ce que pensent les gens de droite ou de gauche, ni même par ce que veulent les résidents étrangers.
L'application du principe d'égalité, et donc le droit de vote, ne dépend que de la volonté politique et des possibilités du moment.
Aux élections nationales (présidentielles et législatives)
Le principe constitutionnel d'égalité devrait faire discuter du droit de vote des étrangers à toutes les élections sans distinction. Mais le droit de vote a, déjà, été découpé en tranches, à l'occasion du traité de Maastricht, il est donc légitime pour parler de son extension de discuter séparément des différents élections. En sachant qu'une réforme de la Constitution sera nécessaire dans tous les cas, sauf, peut-être, pour le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes.
La population n'apprécie pas de la même façon l'éventuelle extension du droit de vote aux résidents étrangers selon le type d'élection. Cette différence est probablement encore plus importante chez les politiques.
Lors du sondage de La Lettre de la citoyenneté de 2006, le seul portant sur les différentes élections, 50 % des sondés étaient favorables au droit de vote pour les élections municipales et européennes, 41 % pour les législatives, 37 % pour les présidentielles. Sans avoir une confiance exagérée dans les sondages, les résultats donnent une idée de la « difficulté ajoutée » en fonction du type d'élection. Ce n'est pas, cependant, une mauvaise base de départ. Les résultats des trois premiers sondages de La Lettre de la citoyenneté sur le droit de vote pour les municipales et européennes étaient bien moins favorables, 32, 30, 28 %.
Quoi qu'il en soit, la revendication du droit de vote à toutes les élections, si elle peut exister dans des textes de congrès, notamment d'organisations d'extrême gauche, n'est pas réellement portée sur la place publique par les forces politiques, syndicales ou même associatives. Il est cependant utile de la rappeler et peut-être aussi d'en discuter les raisons, les modalités... pour préparer l'avenir. Même si les chances de voir cette revendication prise en charge par une campagne sont faibles aujourd'hui et encore plus faibles celles de la voir aboutir.
Au Luxembourg, un débat a eu lieu récemment sur l'extension aux étrangers du droit de vote pour les élections nationales, suivi d'un référendum : la population a rejeté, à une très forte majorité, cette proposition qui était, pourtant, soutenue par le gouvernement.
Le gouvernement luxembourgeois, aujourd'hui, après cet échec sur la citoyenneté, propose une réforme du code de la nationalité pour étendre le champ du corps électoral.
En France, du fait des non-inscriptions sur les listes électorales, de l'abstention, de l'exclusion des étrangers, c'est une minorité des adultes du pays qui participe aux élections politiques.
Le droit de vote aux élections nationales existe dans certains pays : par exemple, en Nouvelle-Zélande depuis 1975, tout résident permanent, quelle que soit sa nationalité, a le droit de vote à tous les scrutins, l’éligibilité étant réservée aux nationaux. Et aussi au Chili, en Uruguay, au Venezuela.
En Suède, tous les étrangers peuvent voter lors des référendums : en 2003, ils ont participé au référendum sur la (non) adoption de l'euro.
Il en a été de même pour le référendum sur l'indépendance de l'Écosse, en fonction d'un « nationalisme non ethnique ». Les résidents non écossais, environ 800 000 sur 5,3 millions d'habitants (17 % de la population) ont pu participer au référendum : citoyens britanniques non écossais, Européens, étrangers originaires du Commonwealth...
C'est peut-être pour cela que les indépendantistes ont perdu...
Le Royaume-Uni permet à tous les ressortissants du Commonwealth, plus de 50 nationalités, résidant sur le territoire national, de participer à toutes les élections y compris aux nationales et européennes.
Une législation équivalente en France permettrait aux ressortissants de l'ancien empire français de participer à toutes les élections : des Algériens aux Vietnamiens, des Sénégalais aux Malgaches...
La monarchie britannique se montre, ici, plus égalitaire que la République française !
Aux élections européennes
Lors de la mise en conformité de la législation française avec le traité de Maastricht, le Conseil constitutionnel a affirmé : le Parlement européen « ne constitue pas une assemblée souveraine dotée d'une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l'exercice de la souveraineté nationale... », le Parlement européen « n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française ». Le Conseil constitutionnel a statué en conséquence qu'il n'était pas nécessaire d’amender la Constitution pour permettre la participation des citoyens, non français, de l'Union à l'élection européenne, comme électeur, comme candidat. (4)
Une simple loi a suffi pour que des étrangers, citoyens de l'Union européenne, résidant en France, puissent voter et être candidats pour représenter la France, le peuple de France, au Parlement européen.
Une simple loi aurait donc suffi pour étendre ce droit à tous les résidents étrangers quelle que soit leur nationalité.
Il n'y a eu ni proposition, ni projet de loi.
Certains, pour justifier leur inaction, ont avancé que le droit de vote aux élections européennes n'était possible qu'en application du principe de réciprocité du traité de Maastricht et ne pouvait pas être attribué aux non communautaires sans modification de ce traité. La Cour de justice des Communautés européennes, saisie de cette question dans un différend entre l'Espagne et le Royaume-Uni, à propos de Gibraltar, a statué: « en l’état actuel du droit communautaire, la détermination des titulaires du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ressortit à la compétence de chaque État membre... » (5)
Il n'y a donc pas d'empêchement au niveau européen. A ce jour, nul en France, ni ailleurs en Europe, ne s'est emparé de cette possibilité.
Ceci étant, il n'est pas sûr que le Conseil constitutionnel, consulté aujourd'hui sur la même question, donne la même réponse car les compétences du Parlement européen ont été étendues.
Par contre, ce qu'une loi a fait, une loi peut le défaire et il serait facile de retirer ce droit aux ressortissants d'un pays qui quitterait l'Union européenne.
Aux élections municipales (locales)
De même, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers, citoyens de l'Union résidant en France, aux élections municipales, en application du traité de Maastricht, n'est pas irréversible. En effet, la Constitution prévoit : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité de l'UE signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. » (6) Que deviendrait ce droit, réservé aux « seuls citoyens de l'Union » si demain le traité était dénoncé par les Britanniques en cas de Brexit et pour les Grecs en cas de Grexit ?
Pour ouvrir la participation aux élections municipales, le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire de modifier la Constitution car « la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l'élection des sénateurs » et « qu'en sa qualité d'assemblée parlementaire, le Sénat participe à la souveraineté nationale » (4). Dans l'éventualité de l'extension du droit de vote pour les élections municipales aux étrangers non communautaires, cette obligation serait maintenue sauf à modifier le mode d'élection des sénateurs.
Il est quelquefois question du droit de vote pour les élections locales. Il s'agit souvent d'un abus de langage pour parler du droit de vote aux municipales qui fait plaisir à certains militants.
Cette confusion des mots – municipales-locales - a aussi conduit les élus du Parti socialiste à déposer une proposition de loi donnant le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales. Ils avaient oublié que les citoyens de l'Union européenne n'avaient pas ce droit !
Mais, il serait possible de profiter de l’occasion d'une réforme de la Constitution pour attribuer le droit de vote à tous les étrangers pour toutes les élections locales...
Des États de l'Union ont reconnu le droit de vote à certaines élections locales autres que municipales.
L'attribution du droit de vote pour les élections municipales à tous les étrangers quelle que soit leur nationalité serait un progrès mais ne supprimerait pas les inégalités en fonction de la nationalité : nationaux avec droit de vote à toutes les élections, étrangers citoyens de l'UE avec droit de vote pour les élections municipales et européennes, étrangers non communautaires avec seulement droit de vote pour les municipales, sans oublier les hors castes, les sans papiers...
Élections municipales et européennes
Certains pensaient que le traité de Maastricht était une brèche dans le lien entre nationalité et citoyenneté. Et que ce premier pas franchi, il serait possible d'aller plus loin et d'ouvrir de nouveaux droits politiques aux étrangers.
En réalité, un lien a été rompu entre droit de vote politique en France et nationalité française. Mais demeure le lien entre nationalité de l'un des États membres de l'Union européenne et citoyenneté de l'UE. Et donc entre nationalité et droit de vote.
Cette notion d’égalité entre étrangers, quelle que soit leur nationalité, a poussé la Lettre de la citoyenne à lancer le premier sondage avec une question inchangée depuis : « Les citoyens de l'Union européenne, résidant en France, ont désormais le droit de vote aux élections municipales et européennes. Personnellement, seriez vous très favorable, assez favorable, assez opposé ou très opposé à l'extension du droit de vote pour les élections municipales et européennes aux résidents étrangers non membres de l'Union européenne vivant en France ? ».
Cette formulation a plusieurs avantages :
- rappeler aux sondés que certains étrangers ont le droit de vote pour ces élections et qu'il ne s'agit que d'une extension à d'autres étrangers. Ceci a pu entraîner une augmentation des réponses favorables
- mettre en évidence et s'appuyer sur une discrimination ;
- casser le lien entre la nationalité et le droit de vote à ces élections.
Malheureusement, lors de la publication des résultats, les politiques, la presse et une grande partie du mouvement associatif n'ont entendu que « municipales » et jamais « européennes ».
La tentative de porter cette revendication au niveau européen, à travers la « pétition du million » et les multiples contacts et interventions au niveau européen et international n'ont guère été plus fructueuses. En dehors du Parlement européen et du Comité économique et social européen
Conclusion
Le traité de Maastricht a pu faire croire un moment que la citoyenneté de l'Union européennes pouvait être un premier pas vers élargissement du droit de vote à tous les étrangers. Il faut reconnaître, vingt-trois ans après, que c'était une illusion et les choses sont à reprendre à la base.
Quelle campagne en 2016 ? Avec qui ? Sera l'objet d'une autre atelier. Cependant, l'expérience des campagnes passées pousse à dire que l'interpellation des politiques devra fortement porter sur le COMMENT.
COMMENT les politiques favorables à cette revendication, candidats à l'Assemblée nationale, au Sénat ou à la présidence de la République, comptent-ils la faire aboutir ?
1 - Le Monde 18/07/15
2 - Le Monde 06/10/15.
3 - Le Monde 08/09/15
4 – Décision n°92-308 du Conseil constitutionnel du 6 avril 1992
5 - Arrêt de la Cour « Grande chambre » du 12 septembre 2006 - Royaume d'Espagne / Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord 'Affaire C-145/04
6 - Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, votée par le Parlement réuni en Congrès, en application de l’article 89 de la Constitution. « Loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998, Journal officiel, 26 mai 1998.
Bonus !
- Inscrire sur les listes électorales les nouveaux Français par naturalisation. !
- Rendre obligatoire, au niveau municipal, sous quelque forme que ce soit, la consultation des résidents qui n'ont pas le droit de vote.
- Ouvrir les référendums locaux « sur les décisions que les autorités municipales sont appelées à prendre pour régler les affaires de la compétence de la commune », aux résidents étrangers. Remettre en cause la loi votée par la gauche, relative à l’organisation territoriale de la République (Loi d’orientation 92-125 du 06/02/92)