Le mythe européen a été porté par des Européens, surtout des chrétiens démocrates et des sociaux démocrates, avec le soutien des États-Unis et la complicité involontaire de l'Union soviétique.
Après la Seconde guerre mondiale, connaissant les conséquences du traité de Versailles et de « l'Allemagne paiera » après la Première, pour éviter un nouveau conflit, certains pays ex-belligérants ont décidé de s'unir : Allemagne de l'Ouest, dénazifiée et fédérale, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas.
Les États-Unis ont joué les bailleurs de fonds et ont contrôlé cette politique, en intégrant les pays européens dans l'Alliance atlantique face à l'Union soviétique.
Le tout dans une politique libérale, tempérée par la menace de l'Union soviétique et de partis communistes puissants en Italie et en France.
Dehors ! Dedans ? Dehors ?
Winston Churchill, dans « un discours à la jeunesse étudiante » tenu en 1946 à l'université de Zurich, s'est prononcé pour une unité européenne, reprenant même le terme, « États-Unis d'Europe », déjà employé par Victor Hugo (1) et même Trotski (2) ! . « Il nous faut recréer la famille européenne en la dotant d'une structure régionale placée sous cette organisation mondiale [ONU], et cette famille pourra alors s'appeler les États-Unis d'Europe... Si, au début, tous les États européens ne veulent ou ne peuvent pas adhérer à l'Union européenne, nous devrons néanmoins réunir les pays qui le désirent et le peuvent. » (3)
Mais il avait dit auparavant à de Gaulle : « Sachez-le: chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous choisirons le grand large ! »
Dehors !
Après le coup de Prague*, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni signent, en 1948, le Traité de Bruxelles qui annonce une Union occidentale avec collaboration en matière économique, sociale, culturelle et de défense. L'année suivante, l'OTAN, alliance militaire, est créée avec de nombreux pays européens et surtout le Canada et les États-Unis.
L'idée d'une Europe unie est lancée par Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, le 9 mai 1950, pour mettre sous l'autorité de la France et de l'Allemagne (de l'Ouest), le charbon et l'acier, étroitement liés à l'industrie de l'armement. La Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) naît en 1951, avec six pays fondateurs : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas. Mais sans le Royaume-Uni.
Elle scelle, ainsi, la fin du conflit entre belligérants européens et met en place une organisation bénéficiant d'une certaine autonomie face à l'énorme influence des États-Unis, notamment à travers le plan Marshall. Elle sera suivie en 1957 de la Communauté économique européenne (CEE) qui inclut aussi l'Euratom.
Dès ce premier petit pas européen, le Royaume-Uni applique la doctrine énoncée par Winston Churchill, et choisit « le grand large ». Le Royaume-Uni ne se contente pas de se tenir à l'écart, il va plus loin en suscitant, en concurrence, l'Association européenne de libre-échange (1960) regroupant Royaume-Uni, Autriche, Danemark, Irlande, Norvège, Portugal, Suède, Suisse.
Alors que le marché commun supprimait les barrières douanières internes et mettait en place une frontière externe commune, le but du Royaume-Uni était de créer une simple zone de libre-échange pour les produits des pays signataires, sans politique commune et sans aucune perspective d'union politique. Ce but n'a jamais varié.
Dedans ?
Sans pouvoir, de l'extérieur, sur la CEE, le Royaume-Uni pose sa candidature en 1963 et 1967. De Gaulle la refuse pour diverses raison et termine sa conférence de presse du 27 novembre 1967 en précisant sur l'adhésion éventuelle du Royaume-Uni : « ce ne serait pas là du tout le chemin qui pourrait conduire à ce que l'Europe se construise par elle-même et pour elle-même, de manière à n'être pas sous la dépendance d'un système économique, monétaire, politique, qui lui soit étranger. Pour que l'Europe puisse faire équilibre à l'immense puissance des États-Unis, il lui faut non pas du tout affaiblir, mais au contraire resserrer, les liens et les règles de la Communauté ». (4)
C'est pendant la présidence de Georges Pompidou (qualifié « L'Anti-De Gaulle », livre publié par Louis Vallon, membre du même parti que Pompidou) que les négociations reprennent en 1970 et aboutissent à l'adhésion à la Communauté économique européenne du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark en 1973.
Ayant adhéré à la CEE, les Britanniques ne vont pas changer de comportement, notamment avec la présence à la tête du gouvernement britannique de Margaret Thatcher, de mai 1979 à novembre 1990. Elle considérait que la CEE ne devait être qu'un moyen de mettre en place d'une zone de libre-échange et de concurrence économique plus importante. Avec le libéralisme économique comme idéologie : privatisations, baisse des impôts directs, augmentation des impôts indirects, dérégulation financière…
Au niveau européen, elle demande que le Royaume-Uni ne paye pas plus que ce qu'il reçoit de l'Europe : « I want my money back » (Je veux récupérer mon argent), ce qu'elle a obtenu en 1984 et qui dure encore, « le rabais ou chèque britannique ».
L'élargissement de la CEE va continuer à la suite de la chute des dictatures avec l'adhésion de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, puis à la CEE devenue Union européenne en 1992, de l'Autriche, de la Finlande, de la Suède (1995) et des États l'ex-Europe de l'Est de 2004 à 2013.
Ces élargissements successifs, l'hétérogénéité des nouveaux participants, aussi bien au point de vue historique qu'économique, l'éloignement des faits qui avaient suscité l'élan vers l'unité et des hommes qui l'avaient portée, le libéralisme effréné à la suite du démantèlement du bloc soviétique, ont changé peu à peu la nature de l'Union européenne. Et l'influence du Royaume-Uni qui va toujours dans le même sens.
Viviane Reding, Luxembourgeoise, ancienne vice-présidente et membre de la Commission européenne, pendant quinze ans, a connu de l’intérieur les difficiles rapports entre Européens et Britanniques de 1999 à 2014. Elle ne mâche pas ses mots sur la Radio Télévision Suisse : « Choisissez ce que bon vous semble mais ne perturbez plus l’Europe… Les Anglais, jusqu'à présent, ils n'ont pas vraiment fait partie de l'Europe. Ils avaient toujours un problème avec l'Europe politique et l'Europe des êtres humains, ils voulaient un grand marché et rien d'autre ». (5)
Mais jusque là, tout a bien réussi à Londres qui « s'est taillé un statut sur mesure, ne participant qu’aux politiques qui l’intéressent : elle n’est ni dans l’euro, ni dans l’union bancaire, ni dans la politique d’immigration et d’asile, ni dans Schengen, ni dans la politique de défense et à peine dans le budget communautaire. » (6)
Dehors ?
Aujourd'hui, l'Union traverse de nombreuses crises, terrorisme, crise de l'euro, politique d'austérité, chômage, arrivée de réfugiés… entraînant dans tous les pays une montée du populisme, de la xénophobie, du souverainisme. Pour faire face au même danger qui le menace au Royaume-Uni avec la montée de l'UKIP (United Kingdom Independence Party), David Cameron a annoncé un référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Et posé ses exigences, conditions sine qua non, pour qu'il soutienne lors de ce référendum le maintien de son pays au sein de l'Union.
Dans cette nouvelle entreprise contre l'Union, David Cameron est en situation de force pour obtenir ce qu'il demande, traité ou pas traité. Car ses interlocuteurs les plus puissants au niveau de l'Union partagent nombre de ses idées libérales et ne veulent pas perdre un allié, de poids, même si c'est au prix de quelques entorses institutionnelles. Face aux pays du sud de l'Union qui souffrent de la politique économique imposée au niveau européen.
A Davos, « Chacun à leur tour, ces dirigeants ont lancé un vibrant appel pour que la Grande-Bretagne reste dans l’Europe » « Un Brexit serait une catastrophe » a abondé le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble". (7)
Le Premier ministre britannique n'a plus qu'à tenir ferme dans son chantage au « Brexit » et l'arrangement diplomatique sera trouvé pour lui donner satisfaction sans modification de traité. Il suffit de voir l'évolution de la négociation avec Donald Rusk. , président du Conseil européen.
Au départ, David Cameron faisait une demande impossible à satisfaire : la suppression pendant quatre ans des aides sociales destinées aux ressortissants de l'Union au Royaume-Uni. Elle mettait en question un des grands principes de l'Union : la libre circulation des travailleurs.
Mais Donald Tusk a proposé un mécanisme de « sauvegarde » qui pourrait être invoqué, par n'importe quel État membre au cas d'un « afflux d'ampleur exceptionnelle de travailleurs venus d'autres États membres » qui mettraient en danger les services sociaux du pays d'accueil. Sous contrôle strict de la Commission. Par n'importe quel État membre. Mais le Royaume-Uni « déjà confronté à (cette) situation exceptionnelle (…) serait en droit de déclencher le mécanisme, avec toutes les chances qu'il soit finalement approuvé ». (8) C'est du « sur-mesure » et presque un tour de passe-passe.
Il est à noter que ni l'Italie, ni la Grèce n'ont connu un telle sollicitude lors de l'arrivée en nombre de demandeurs du droit d'asile, par exemple. Il est aussi important de noter que face au Royaume, c'est le président du Conseil européen qui négocie. Face à la Grèce, certains ministres, parmi les moins compréhensifs, ont pris une place bien plus grande…
Autre point difficile : le Royaume-Uni, depuis quelque temps, veut avoir un droit de regard, sans participation, sur l'eurozone. Afin que l'euro et la Banque centrale européenne ne fassent pas de l'ombre à la City. D'où un mécanisme, accepté par Donald Tusk, qui permettrait aux neuf États non membres de la zone euro de se faire entendre par les dix-neuf autres. Une fois de plus, le Royaume-Uni veut voir, sans payer pour voir.
Il y a fort à parier qu'il n'y aura pas, en réciprocité, un droit de regard des dix-neuf sur la politique de la City !
Par ailleurs, David Cameron ne veut pas une Union européenne à deux vitesses alors que l'Union est à multiples vitesses depuis longtemps et même « à la carte » pour le Royaume-Uni , notamment avec l'euro et tous les droits de retrait (« opting out »). Il veut probablement un alignement sur la vitesse du Royaume-Uni.
Une fois les négociations abouties, officiellement, entre Donald Tusk et David Cameron, leurs conclusions devront être entérinées par les 27 pays de l'Union européenne, probablement lors du prochain sommet européen..
Bien que désireux de défendre leurs ressortissants travaillant au Royaume-Uni, il est peu probable que les pays comme la Pologne opposent un veto à l'accord. Ce serait un camouflet pour David Cameron et un soutien au vote en faveur du « Brexit ». Qui pourrait se retourner contre les droits sociaux des travailleurs étrangers européens au Royaume-Uni qui pourrait devenir totalement libre de sa législation..
David Cameron, « Saint George ayant terrassé le dragon européen », pourra, alors, lancer la procédure du référendum. Il n'est pas certain cependant que les europhobes britanniques, notamment, l'UKIP (United Kingdom Independence Party), se satisfassent des résultats obtenus et que le « oui » l'emporte devant une Europe en difficulté sur bien des points. Alors que, selon Laurent Wauquiez « L'Europe qu'on est en train de construire ,c'est, en réalité, le rêve de Margaret Thatcher: une grande Europe qui est un grand marché d'échanges économiques mais dans laquelle on a trop peu de politique communes, trop de pays différents et où on n'arrive plus à faire de choses ensemble. » (9)
L'Union européenne sortira affaiblie de ce nouvel épisode avec le Royaume-Uni. Que le Royaume-Uni quitte ou non l'Union européenne.
Pour le journal finlandais, Iltalehti, « le pire des scénarios serait que le Brexit fasse des émules et que d’autres pays lui emboîtent le pas. Ce serait la fin de l’UE telle qu’on la connaît. En revanche, les pays désireux de développer les règles communes de l’Union pourraient rester en son sein. Ce n'est pas une mauvaise perspective ». (10)
Ou bien va-t-on vers la fin de l'Union pour aboutir à un grand espace européen de libre échange ?
* Le Coup de Prague est le nom donné à la prise de contrôle de la Tchécoslovaquie en février 1948 par le Parti communiste tchécoslovaque, avec le soutien de l'Union soviétique, aboutissant au remplacement de la « troisième République tchécoslovaque » par la République socialiste tchécoslovaque. Les historiens tchèques parlent en tchèque de « Février 1948 ».
Pendant la période socialiste, le terme Vítězný únor (« Février victorieux ») était le terme officiellement employé pour décrire les événements qui, du 17 au 25 février 1948, conduisent le président de la République tchécoslovaque, Edvard Beneš, à céder le pouvoir aux staliniens et à leurs dirigeants, Klement Gottwald et Rudolf Slánský, après deux semaines de pressions intenses des Soviétiques. (wikipedia)
1 -http://lecoeurdumonde.free.fr/Le_coeur_du_monde/Conclusion_files/Victor%20Hugo%20Discours%20d'ouverture%20du%20%20Congre%CC%80s%20de%20la%20Paix.pdf
2 - https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats-Unis_d'Europe
3 - http://europa.eu/about-eu/eu-history/founding-fathers/pdf/winston_churchill_fr.pdf
5 - Radio Télévision Suisse, le 7 janvier 2016
6 – Jean Quatremer 4 février 2016 Les coulisses de Bruxelles
8 - Le Figaro.fr 3 janvier 2016
9 - Laurent Wauquiez Ouest-France.fr 16 février 2014
10 - Iltalehti 09 février 2016