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1 novembre 2014 6 01 /11 /novembre /2014 10:30

 

 

J'ai décidé d'appeler Moussa (a), ce corps dont le membre inférieur était désolidarisé. Moussa n'a jamais existé. Ce corps n'appartenait pas à Moussa. A moins d'un hasard, extraordinaire et absurde. Je l'ai appelé Moussa parce que ce corps en deux parties, qui a réellement existé, lui donnait une personnalité. Qui le faisait sortir de l'anonymat. Était prêt à recevoir un nom que je n'avais qu'à formuler pour donner vie.


Tous ces corps allongés sur les tables avaient une histoire singulière, inconnue. Mais le corps blessé de Moussa témoignait obligatoirement d'un passé autre. Pas besoin d'imagination. Son corps, ce corps parlait, disait une histoire.


A l'époque, je ne l'ai pas nommé. Mais il est toujours dans ma mémoire. Et, si aujourd'hui, je l'ai appelé Moussa, c'est pour qu'il ne reste pas éternellement étranger. Mort anonyme. C'est parce que j'ai rencontré un autre mort longtemps anonyme, nouvellement devenu Moussa (1), sous une plume talentueuse.

Il est classique de déshumaniser les gens pour les tuer plus facilement. Tuer une silhouette plutôt qu'une personne,les yeux dans les yeux. Un Noir, un juif ou un Arabe plutôt que Babacar, Samuel ou Moussa. Parmi ceux qu'on tue, « Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou. D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel... »


Je ne sais si Moussa priait ou non. Seule chose importante, il était mort, plusieurs fois. Administrativement car sans papier sur lui. Accidentellement, sans raison. Mais y-a-t-il des raisons pour mourir ? Sans être nommé après sa mort.

Étranger à tous. Au moment de sa mort et après.
Il ne pouvait que s'appeler Moussa.


Que devenaient ensuite ces corps éclatés par le scalpel, scrutés au delà de leur intimité. Peu importe. Par leur dernier rôle, ils étaient réintégrés à l'universelle humanité. Nommé, un demi-siècle plus tard, Moussa renaît dans son humaine singularité, certes fictive, mais encore présente dans ma mémoire et dans l'esprit de quelques rares lecteurs. Peut être est-il plus vivant que bien de ses contemporains. Qui ont été pleurés. Accompagnés. Et aujourd'hui, oubliés de tous.





(1) « Meursault Contre-enquête » deKamel Daoud Editions Barzakh (Alger) octobre 2013 ;  Actes Sud (Arles), mai 2014

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