La France semble coupée d'une partie importante de sa jeunesse.
Il ne peut y avoir, ces temps-ci, de manifestation populaire à Paris sans que des groupes de jeunes ne l'utilisent et prennent la tête du cortège pour s'attaquer aux vitrines des banques, des assurances puis du mobilier urbain et finalement de n'importe quoi avec notamment l'Hôpital Necker qui a soulevé une large indignation, pas toujours désintéressée.
Une autre partie de la jeunesse de ce pays est séduite par Daech et, avec ou sans séjour au Proche-Orient, s'engage dans des attentats de masse dont le plus meurtrier a été celui du Bataclan. Avec un nouveau développement, l'attaque individuelle, comme celle des policiers de Magnanville.
Il va de soi que ces actes ne sont pas de même nature, sauf peut-être pour Manuel Valls qui a parlé de « volonté de tuer », à propos des certains « casseurs ». Pour les uns comme pour les autres, il ne peut être question, aux yeux de Manuel Valls, de chercher à comprendre : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé », avait déclaré le premier ministre au Sénat, deux semaines après les attaques de novembre 2015 (Le Monde 03/03/16). Et fier de sa trouvaille, il n'a pas manqué de la répéter à d'autres occasions.
Disqualifiant ainsi le travail fait dans le cadre du CNRS sur les questions des violences urbaines depuis les années 1980 et sur les attentats depuis janvier 2015.
De même, il doit être inutile de comprendre les événements qui se sont déroulés dans les banlieues en 2005 à la suite de la mort des jeunes Zyed et Bouna. Les dégâts matériels avaient été très importants touchant des voitures, incendiées, des entreprises mais surtout des établissements publics au service de la populations (écoles, gymnases, maisons de quartier...). Ce qui avait entraîné une importante répression policière avec la proclamation de l'état d’urgence, déjà, et l’interpellation de milliers de personnes dont 600 avaient été écrouées (Le Monde 26/10/15). Ici encore, il ne doit pas être nécessaire de comprendre pourquoi et comment.
Cependant, à la suite de ces événements, un important travail de rénovation a été entrepris qui a considérablement modifié le bâti. Malheureusement, cet effort, indispensable, n'a pas modifié fondamentalement la vie des jeunes. Leur taux de chômage est de 45 % contre 23 % dans les quartiers hors ZUS. 72 % des habitants de ces territoires considèrent que la rénovation urbaine n’a pas changé leurs conditions de vie.
Les dégâts d'un chômage qui dure maintenant depuis des dizaines d'années ont été en partie « compensés » par une économie de survie : travail au noir et trafic de drogues. Tandis que la vie associative était remise en question par les restrictions budgétaires, favorisant le repli et le développement de l'influence religieuse.
Bien entendu, le gouvernement connaît largement ces informations qui n'excusent peut-être pas le comportement des jeunes mais mettent en question la politique des gouvernements de droite et de gauche…
Manuel Valls a raison, comprendre ou ne pas comprendre ne change pas beaucoup le comportement des gouvernements.
Les gouvernements, d'hier et d’aujourd’hui, connaissent très bien les taux d’abstentions à toutes les élections qui sont particulièrement élevés chez les jeunes qui estiment - à tort ? - que le monde politique, journalistes et politiciens confondus, est à des années-lumière de leurs préoccupations. Aux dernières élections régionales, le premier parti de France était celui des abstentionnistes : 50 %. Mais concernant les 18-24 ans, il était de 64 % et les 25-34 ans, 65 %. Les ouvriers sont aussi les plus touchés par abstention : 61 %
Certains politiques ont trouvé le remède : rendre le vote obligatoire ! Sauf que lorsqu'ils votent, les jeunes comme les ouvriers votent plus que les autres pour les partis de contestation que pour les partis de gouvernement.
Dans cette « démocratie représentative », une bonne partie de la population n'est pas représentée au Parlement, se sent exclue. Et ce n'est qu'une petite minorité qui vote pour les partis de gouvernement.
Il est certain que les choses vont changer profondément lors de la prochaine élection présidentielle. Qui se prépare déjà. A droite comme à gauche, dans la presse écrite ou radio-télévisée, cette élection est d'une actualité permanente. Dans la primaire de droite, dans la primaire de gauche, les paris couplés ou gagnants sont ouverts. Mais la politique ? Le sort des jeunes ?
Dérisoire !
A cela, va, probablement, s'ajouter le débat sur l'Union européenne. Avec l'affrontent de ceux qui veulent en sortir ou non mais, au Royaume-Uni, le cafouillage touche aussi bien ceux qui sont pour le Brexit que ceux qui sont contre. La confusion est moins spectaculaire en France et dans l'Europe mais tout aussi importante. Ceux qui veulent continuer l'aventure européenne vont parler de réformes comme ils l'ont toujours fait, comme en 1992 ou en 2005, au moment des référendums, sans que les choses s’améliorent beaucoup, car la politique économique n'a rien changé pour les couches sociales les plus défavorisées.
Les « casseurs » et les « radicalisés » ne sont que la pointe extrême d'une jeunesse dont la majorité ne se voit aucun avenir, que les politiques abandonnent sans scrupule à tous les niveaux économique, social, politique… Quand on ne voit pas d'avenir possible, la tentative est grande du retour à un passé mythifié, national ou religieux.
Qui peut s'enthousiasmer, même légèrement, pour la « politique réelle », comme on dit « socialisme réel » quand on voit ce qui se passe au niveau de la politique nationale ou européenne ? Il n'y a pas là de quoi donner un sens à la vie des jeunes… et de bien d'autres.