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3 février 2023 5 03 /02 /février /2023 23:07
La bourse ou la vie ?

La nouvelle bataille sociale a été engagée par le président de la République, de façon dure et claire, sur un acquis historique, l’âge de départ à la retraite.

En France, l’histoire du départ à la retraite commence avec la création de La Caisse des Invalides de la Marine Royale par Colbert pour les marins en 1673. D’autres régimes ont suivi : 1831, pensions militaires, 1853 pensions civiles des agents de l’État (départ possible à 60 ans après 30 ans de service et même 55 ans après 25 ans de service dans les travaux pénibles… Catégories à l’origine des régimes spéciaux.

Les ordonnances de 1945 ont permis le départ à la retraite à 65 ans et, en 1982, le départ est devenu possible à 60 ans avec une durée de cotisation de 37,5 ans.
Depuis, de multiples coups de canif ont augmenté durée de cotisation et recul de l’âge de la retraite…

Pour certains, le mot travail viendrait, suivant une étymologie contestée, de tripalium, instrument à 3 pals utilisé pour ferrer ou soigner les animaux et pour punir les esclaves, pour torturer… Quoi qu’il en soit, le mot travail implique la notion de peine, de douleur : travaux forcés, travail de l’accouchement… Ce n’est probablement pas l’étymologie préférée d’Emmanuel Macron qui supporte mal de voir associés travail et pénibilité et qui, pour simplifier, a supprimé 4 des 10 critères de pénibilité du travail.
Il
doit préférer Blanche-Neige et ses nains chantants

L’époque n’est pas lointaine où il a fallu interdire par la loi le travail des enfants de moins de 8 ans et le limiter à 8 heures par jourDans le servage féodal, le serf et les résultats de son travail étaient propriété du maître. De même dans l’esclavage qui avec la traite, a eu un rôle important dans le développement économique de l’Occident, du Royaume-Uni notamment. (Le Monde 26 janvier 2023*) Il a été aboli progressivement en Occident au XVIII-XIXèmes siècles** mais perdure ici sous forme d’esclavage moderne.

Ce paléo-capitalisme, capitalisme fossile, a laissé des traces dans de nombreuses régions du globe, il ne s’est pas développé sur l’épanouissement par le travail. Le néolibéralisme non plus. Le travail n’est plus associé à la torture, le lien avec l’exploitation demeure, encore évident, malgré l’évolution de la société, des forces sociales, du travail lui-même.

Vivre pour travailler ou travailler pour vivre ? Deux conceptions de la vie, du travail, de la société.

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré. Ce n’est pas une bénédiction mais une condamnation, à perpétuité. Qui traîne encore dans l’inconscient ou le conscient de beaucoup. Surtout pour faire travailler les autres à moindres frais.

L’idée de punition se retrouve dans travaux forcés mais aussi dans travaux d’intérêt général (comme peine principale ou complémentaire), travail à la maison (sanction scolaire). Que dire de la majorité des emplois*** si l’on en croit Albert Camus : Il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. (Le Mythe de Sisyphe)

La bourse ou la vie ?

Le travail est une activité humaine qui transforme les choses en vue de satisfaire des besoins, fort variables depuis les chasseurs-cueilleurs : besoins individuels ou collectifs chez des individus vivant en société : famille, village… humanité. C’est parce que la nature ne satisfait pas tous les besoins qu’il faut travailler. Le travail n’est pas recherché pour lui-même mais parce qu’il est productif. La nécessité, travailler pour vivre, a mené à la revendication d’un droit au travail et aussi à un droit du travail, souvent remis en cause depuis quelque temps. Par sa nature, sa qualité, sa participation à la satisfaction des besoins de tous, le travail peut donner un statut, une certaine considération à la personne qui travaille...

Dans les sociétés occidentales, le travail le plus pénible, le moins rémunéré, le moins considéré a été invisibilisé, exporté, salaires, charges sociales, conditions de travail, atteintes à l’environnement, par les délocalisations ou, dans une moindre mesure, par délocalisation sur place, appel à l’immigration qui a une autre avantage, social et politique, diviser les travailleurs… Le gouvernement, par le hasard du calendrier parlementaire, présente ces jours-ci des textes sur la retraite et sur l’immigration...

Les Français qui vivent plus longuement, doivent travailler plus longtemps (vivre pour travailler). Comme si le but de la vie était de travailler. Quelles que soient les conditions. Quelles qu’en soient les conséquences !
L’espérance de vie augmente depuis longtemps en France et, parallèlement, le temps de travail, journalier (les 8 heures), hebdomadaire (la semaine de 40 heures), annuel (les congés payés), a diminué, sous la pression des travailleurs et le pays n’a jamais été aussi riche. Les progrès technique, économique et social, en France et dans les pays voisins, ont toujours été liés, jusqu’ici, à la diminution du temps de travail. Depuis le XVIIIeme, la durée du tra­vail dans les pays industrialisés a été divisé par deux. (Le Monde 31 janvier 2023)
En 1930, Keynes annonçait la semaine des 15 heures.

Travailler plus ? Pour quoi ? Gagner plus ! Produire plus ! Pour qui ? Pour quoi ?
Il n’est jamais question de travailler mieux, d’améliorer les conditions de travail sans une forte pression des travailleurs. Cette situation n’est pas propre à la France mais elle la touche particulièrement. La France apparaît très mal placée et même en queue de peloton dans de nombreuses catégories. Pour plus de 43 % des Français, leur emploi implique toujours ou souvent de déplacer des charges lourdes (moins de 30 % aux Pays-Bas et 35 % en Europe). Pour plus de 57 % positions douloureuses ou fatigantes contre 43 % en Allemagne et 50 % en Europe. 45 % des Français trouvent qu’ils sont « bien payés » pour les efforts qu’ils fournissent et le travail qu’ils font contre 68 % des Allemands et 58 % des Européens. (Le Monde 29-30 janvier 2023) Sans parler des horaires de travail atypiques qui touchent 60 % des travailleurs : travail de nuit, le samedi-dimanche...

Pour gagner plus ? Dans cette période d’inflation, il n’est toujours pas question de gagner plus quand les salaires ne suivent même pas l’inflation mais de compenser ce retard par plus de travail. Pour produire plus. Pour que les entreprises, les actionnaires gagnent plusIl suffit de lire la distribution des bénéfices pour voir que, si les actionnaires ne travaillent pas plus, leur argent travaille à leur place et les actionnaires gagnent plus ! Quel que soit le produit fabriqué. Quelle que soit son utilité. Ce qui compte, c’est le retour sur investissement. Que la production soit faite ici ou ailleurs, quelle que soient ses conséquences pour l’environnement, les travailleurs ou les consommateurs.

Selon le rapport d’Oxfam, depuis 2020, les milliardaires français ont accru leur fortune de 200 milliards, soit + 58%. Bernard Arnault possède autant que 20 millions de Français ! Les dividendes versés aux possédants du CAC 40 se sont accrus de 93% en 2021...
La crise ? Quelle crise ? La crise pour qui ?

Qui peut être en désaccord avec Bruno Le Maire sur BFM Business : Quand une entreprise est capable de verser des dividendes à ses actionnaires, elle doit être capable de ver­ser une meilleure rémunération à ses salariés… C’est une ques­tion de justice. (Le Monde 27 janvier 2023)
Surtout que Bruno Le Maire est le ministre de l'Économie et des Finances d’un généreux gouvernement, au point qu’on a pu parler d’un État-providence pour les entreprises qui contribuent de moins en moins au financement collectif tout en en bénéficiant de plus en plus.
En 1995, les entreprises contribuaient à 65,2 % du financement de la Sécurité sociale, à 46,9 % en 2020… Le total des aides était de 65 milliards en 2007 et de 157 milliards en 2019, soit 6,4 % du PIB, plus 30 % du budget de l’État. (Alter-éco février 2023)

Récemment, le président de la République a affirmé que le surcroît de travail imposé aux Français contre la volonté de l’immense majorité était indispensable quand on se compare à l’Europe.

Ah, cette Europe ! Europe sociale dont il est question, périodiquement, aux élections européennes, pour le prochain traité, dans des déclarations ou des textes de principe mais concrètement...
Le social n’est pas dans les compétences européennes. Seule l’économie. Le social est surdéterminé par l’économie. Avec la politique économique libérale, l’alignement social a tendance à se faire sur le moins-disant social. Dans ce but, Macron utilise la comparaison de l’âge des retraites dans les différents pays européens. Il ne cite pas les conditions de travail dont il a été question plus haut, ni les accidents du travail, notamment les accidents mortels, alors que la France est le pays le plus mal placé en Europe***, pour promouvoir une amélioration de la sécurité des travailleurs... Les accidents n’empêchent pas la production d’augmenter. Ils en sont la rançon. [Réforme contre les (futurs) retraités]

Présenter Emmanuel Macron comme le président des riches n’est pas une caricature mais un autoportrait : c’est lui-même qui tient le crayon !
Commencer le premier quinquennat par la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et la diminution de l’Aide personnalisée au logement (APL)… Commencer le second en s’attaquant aux retraites, tout en perfusant les entreprises assistées d’un pognon de dingue… D’autant qu’il tend aussi le micro au président pour lui offrir un porte-voix, pour être bien compris. Avec des propos méprisants et répétés à ceux qui ne sont rien, qui deviennent des travailleurs de première ou de seconde ligne en cas de besoin et se retrouvent Gros-Jean comme devant quelques mois plus tard…

La bourse des uns, la vie des autres.

La bourse ou la vie ?

* L’effet combiné de la traite et de l’exploitation des personnes esclavagisées a bel et bien contribué à l’accumulation du capital et à l’essor industriel du Royaume-Uni. Sur la base des registres assemblés en 1833 pour déterminer les compen­sations payées par le gouvernement britannique aux esclavagistes lors de l’abolition de l’esclavage... qui représentèrent près de 40 % du budget de l’État – ou 5 % du PIB – et la dette ainsi contractée par le gouvernement ne fut intégralement remboursée qu’en 2015 !
Les auteurs estiment que le re­venu total augmenta de 40 % dans les localités les plus engagées dans l’esclavage, le revenu des ouvriers de 3 % et le revenu des propriétaires de capitaux de plus de 100 %. Ces esti­mations... sous-estiment considérablement le véritable impact économique de l’esclavage sur l’ensemble de l’économie britannique et sur celle des autres puissances européennes.
((Slavery and the British Industrial Revolution, NBER Working Paper 30451 dans Le Monde 26 janvier 2023)

** Dans le royaume de France, l’esclavage a été interdit par la reine Bathilde (630-680), épouse de Clovis II. En 1571, le Parlement de Bordeaux exige la libération d'une cargaison d'esclaves noirs amenés pour être vendus. Cela n’a pas empêché l’utilisation d’esclaves dans les Galères royales de Louis XIV : pendant toute la seconde moitié du XVIIeme, des agents royaux capturèrent u achetèrent plus de 10 000 « Turcs » dans l’ensemble du bassin méditerranéen… Ni le rôle des 8 ports français, dont le plus important fut Nantes, dans le commerce triangulaire. Où la France a eu un rôle très important après le Portugal, la Grande-Bretagne et l’Espagne. L’esclavage a été supprimé dans les colonies françaises en 1794, rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802 et aboli en 1848.

*** Un travail idéalisé dans les métiers, personnels ou créateurs, réduit le plus souvent à un emploi, intéressant seulement comme source de revenu, inégalement réparti entre employeur et employé..

La bourse ou la vie ?
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