Chaque jour, il est question de démocratie.
Le mot est clair : gouvernement par le peuple, c’est à dire l’ensemble des citoyens. Comme il est difficile de faire prendre des décisions par la multitude, le peuple dans son ensemble ne peut participer à toutes les décisions, il est nécessaire de désigner des représentants qui pourront délibérer en son nom.
L’instauration et l’exercice actuel du pouvoir politique est né, en France, de la Révolution qui a produit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, notamment l’article premier : Les hommes naissent libres et égaux en droits. Et l’article six : La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation.
LE SUFFRAGE UNIVERSEL est né de ces articles, très difficilement, pour établir la loi basée sur la volonté générale. Avec deux possibilités que certains veulent opposer concourir personnellement qui justifie le recours au référendum et représentants. Le pourquoi, le quand, le comment du référendum seront cependant décidés par des représentants. Mais rien n’empêche d’utiliser les deux suivant les circonstances...
Si tous les citoyens ont droit de concourir personnellement à la formation de la loi, la citoyenneté a été longtemps réservée aux hommes, partout dans le monde, et étendue secondairement, aux femmes. Quand le suffrage est-il devenu universel en France ? Après son ouverture aux femmes (1944), aux militaires (1945), aux 18-21 ans (1974), aux condamnés (1994), aux incapables (2018)…
Est-il universel ? Alors que, dans certains pays, le droit de vote est ouvert aux jeunes dès l’âge de 16 ans (Autriche, Malte) ou 17 ans (Grèce), aux non nationaux…
À tous les étrangers pour les élections municipales dans certains pays notamment de l’ Union européenne (UE), seulement aux citoyens de l’UE, en France.
À toutes les élections pour certaines nationalités… Royaume-Uni, à tous les ressortissants du Commonwealth, ce qui voudrait dire en France, à tous les résidents originaires d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Madagascar, des anciennes colonies d’Afrique noire, d’Indochine…
À toutes les nationalités après une durée variable de résidence : Chili, Équateur, Malawi, Nouvelle-Zélande, Uruguay, Venezuela.
En Écosse, les citoyens du Royaume-Uni, de la République d'Irlande, du Commonwealth et les citoyens des autres pays de l'UE résidant sur le territoire ont pu participer au référendum sur l’Indépendance de 2014.
De plus, pour pouvoir voter en France, il faut être inscrit sur les listes électorales : 2 à 4 millions d’électeurs potentiels n’y sont pas inscrits pour des raisons diverses. Il faudrait ajouter les abstentionniste involontaires, personnes éloignées des bureaux de vote (certains Français de l’étranger), impossibilité de se déplacer…
L’article onze de la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen précise : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi . Ce n’est certainement pas le cas dans les régimes autoritaires, dictatoriaux ou populaires, qui organisent des élections parfaitement contrôlées : hommage involontaire aux démocraties réellement existantes.
Pour que le suffrage universel s’accomplisse, il faut aussi qu’il soit secret, libre, ouvert à la diversité d’opinions et aux différents moyens d’informations. Dans quelle démocratie est-ce le cas ?
Winston Churchill souvent cité : La démocratie est le pire des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. Exact. Il aurait pu ajouter : elle est précieuse car elle permet le maintien des mêmes personnes ou de leur clone au pouvoir. Quand cette pérennité est mise en danger à la suite d’élections démocratiques selon les règles établies, les classes au pouvoir, au pouvoir réel, utilisent tous les moyens, quelquefois très brutaux, pour changer le cours des choses. Le cinquantième anniversaire de la chute du président chilien Salvador Allende, élu démocratiquement, renversé par un coup d’État, avec l’aide des États-Unis, démocratiques, est là pour le rappeler. D’autres coups d’État ont été perpétrés dans des mêmes conditions mais il n’est pas toujours nécessaire d’en arriver là.
LE SUFFRAGE UNIVERSEL BAFOUÉ.
Lors d’un premier référendum, les Irlandais ont rejeté le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Un second référendum a été organisé, sur le même texte, accompagné de garanties supplémentaires de l'UE - qui ne font pas partie du traité. Les Irlandais ont cette fois approuvé le texte. Démocratiquement. Définitivement.
Au Pays-Bas, en France, cette supercherie a été considérée comme trop risquée. Et la voie parlementaire plus sure.
En France, il y a eu 3 référendums à propos de l’Europe. Lors des 2 premiers, en 1972 (68,32 % de oui) et 1992 (51,04 % de oui), les résultats étaient conformes aux désirs du pouvoir. Pas de problème. Lors du troisième, le non l’a emporté (54,68 %). Bien que le oui ait bénéficié de 71 % des interventions dans les médias télévisés. Les résultats n’étaient donc pas conformes aux désirs du pouvoir.
Dans ces différentes consultations, le peuple avait le droit de voter oui ou non à condition de voter oui ! Une seconde mouture a donc été concoctée. D'après Valéry Giscard d’Estaing, à l’origine du projet initial, il ne s’agissait que d'une pâle copie, dans laquelle seule la forme avait été changée. Ce texte a été adopté, démocratiquement, par voie parlementaire. La voie parlementaire est-elle plus démocratique que le suffrage universel direct ? Elle a été le recours démocratique du pouvoir en place contre le suffrage universel.
L'Assemblée nationale en 2007 comptait un seul ouvrier et 29 employés alors que les ouvriers constituaient 22,9 % de la population active et les employés 28,5 %. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale, qui représente le peuple français, est composée de 69,5 % de cadres, professions intellectuelles supérieures, de 1,4 % d’ouvriers (8) et 4,5 % d’employés (26). (Le Monde 5 février 2023)
On ne peut incriminer, ici, l’absence de démocratie de l’UE. Ce sont les démocrates nationaux qui ont décidé. Qui sont responsables. Et toutes les forces politiques, financières qui s’étaient mobilisées, vainement, pour obtenir le oui. Sans oublier la majorité des forces intellectuelles qui ont mis en question, après la victoire du non la capacité des électeurs à comprendre les enjeux. Et non la vicieuse procédure adoptée pour passer outre le suffrage universel !
Abraham Lincoln a donné une brillante définition de la démocratie. Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, reprise par la Constitution de 1958. Qui a plus de sonorité que de sens, pompeux et de surcroît inexact, comme le dit le constitutionnaliste Guy Carcassonne ! Répété 3 fois dans la formule magique, le mot peuple ne peut, à chaque fois, être défini de la même façon. Un sot, portant un seau, fait un saut, les 3… mots, peuple, tombent dans l’eau !
Le but est toujours, régime démocratique ou non, d’organiser le gouvernement de tout le peuple dans sa grande diversité. Par une partie du peuple. Le long cheminement vers un suffrage universel montre bien la grande peur des détenteurs du pouvoir réel, financier, économique. À qui vont-ils confier le pouvoir institutionnel, sous influence ? Qui vont-ils exclure et comment ? Par une organisation démocratique des élections. D’abord avec le vote censitaire. Ensuite avec des restrictions et mesures diverses, âge, sexe, nationalité, type de scrutin, découpage des circonscriptions… Pour obtenir des élus raisonnables… qui maintiendront les privilèges...
L’adoption en seconde main du traité de Lisbonne n’est pas la meilleure technique, trop voyante. Elle est simplement une des méthodes utilisées. La plus courante est les promesses électorales. Dont un expert a dit qu’elles n’engageaient que ceux qui y croyaient. Mon ennemi, c’est la finance n’a pas empêché le candidat, une fois élu, de faire rapidement la paix avec son ennemi déclaré. Sans oser se représenter, cependant, les sondages aidant, pour un éventuel renouvellement de son mandat. Mais il continue de caracoler dans le microcosme.
Au delà de l’honnêteté, de la sincérité, des qualités des candidats, il faut examiner les conditions normales des élections notamment les moyens à leur disposition. Et le rôle de la finance. C’est dans cet esprit qu’a été instauré le financement des partis politiques. Et le contrôle, a posteriori, du financement des élections, y compris présidentielles.
En espérant que tous les contrôles faits, en France, par le Conseil constitutionnel ne soient pas du même tonneau que celui de l’élection présidentielle de 1995. Roland Dumas, président du Conseil constitutionnel lors des faits, a reconnu, des années plus tard, que les comptes de campagne d’Édouard Balladur, (Nicolas Sarkozy était alors son porte-parole) et Jacques Chirac étaient manifestement irréguliers et que, sous son influence, le Conseil constitutionnel les avait validés ! Pour ne pas avoir à annuler la présidentielle et mettre en danger la République ! Ainsi va la démocratie…
Roland Dumas, nommé président du Conseil constitutionnel par le président de la République, François Mitterrand, a validé une élection dont il savait qu’elle était frauduleuse. Comme tous les membres du Conseil constitutionnel. Et bien au-delà. Connivence de tout le monde politique !
Le suffrage universel suppose qu’il y a des candidats, des listes de candidats avec des programmes différents, compréhensibles par tous, pour que les citoyens aient un choix réel. Ce sont là des conditions difficiles à remplir. Des programmes divers avec la volonté d’être compris par les citoyens ayant reçu une instruction civique, politique...
Et des moyens égaux pour tous les candidats : on est loin de compte. À la Libération, un statut de la presse avait été prévu. La presse qui avait collaboré avec l’occupant a été plus ou moins éliminée pour faire place à la presse issue de la Résistance. Mais finalement, dit l'historien Dominique Pinsolle, le marché [a repris] ses droits [dès 1947], ouvrant la voie à une nouvelle période de concentration qui ne s'est jamais interrompue [depuis].
Malgré la mise en place d’une aide financière de l’État à la presse (et aux organisations politiques). Tous les médias audiovisuels et même l’édition appartiennent à quelques grands groupes (Bolloré, Bouigues, Dassault, Drahi…), subventionnés donc, qui pèsent sur leur orientation, comme l’ont montré les dernières péripéties autour du Journal du dimanche. Ou des Échos. L'historien des médias Alexis Lévrier, rappelle : Jamais dans l'histoire de l'Hexagone une poignée de milliardaires n'a eu une emprise aussi forte sur les chaînes de télévision, radio, journaux et magazines et ce en pleine campagne présidentielle. Le tout avec le consentement de nombreux démocrates.
Les entorses à l’égalité des citoyens dans les élections touchent tous les pays démocratiques. Avec un modèle caricatural donné par les États du sud des États-Unis pour empêcher l’accès à la citoyenneté des Noirs après la suppression de l’esclavage en 1865. Malgré différents textes, amendements de la Constitution ou lois fédérales, qui interdisent la mise en cause du droit de vote pour des raisons de race, couleur, ou de condition antérieure de servitude depuis 1870. Mais les États fédérés restent libres de définir les modalités d'exercice du vote. Jusqu’à aujourd’hui, ils ne s’en privent pas : charcutage (gerrymandering) partisan ou racial des circonscriptions, lois Jim Crow. Par exemple, suppression de bureaux de vote dans les territoires à forte population non blanche. Les électeurs doivent alors faire des kilomètres pour aller au bureau de vote et attendre plusieurs heures avant de pouvoir voter…
Winston Churchil a malheureusement raison : le pire des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. Car ceux qui ont voulu remplacer les démocraties existantes par des démocraties populaires n’ont pas fait et ne font pas mieux.
RÉGRESSIONS DÉMOCRATIQUES
Il n’est pas étonnant que ce modèle de démocratie s’accompagne d’une désaffection, semble-t-il, de plus en plus prononcée des électeurs, surtout des jeunes, dans de nombreux pays : ceux qui ont le plus intérêt au changement voient bien que les élections apportent de moins en moins des améliorations à leur situation et négligent les élections. Et les élus se préoccupent davantage de ceux qui votent que des abstentionnistes...
La défiance de la pratique ne fait que croître à l’intérieur, même si les principes de la démocratie et les démocraties réellement existantes séduisent largement les peuples à l’extérieur et effraient leurs gouvernements. Cependant l’exportation est difficile car, politique, économique ou guerrière, elle est mue plus par une volonté de domination que de démocratisation même tempérée.
Les démocraties réellement existantes croyaient avoir un avenir radieux. Certains ont cru voir la fin de l’histoire dans la disparition de l’affrontement de classe entre capitalisme et socialisme réellement existants (États-Unis vs URSS). En réalité, après cet intermède de quelques décennies, c’est le retour à l’histoire faite de conflits entre nationalismes-impérialismes, démocratiques ou dictatoriaux, pour la domination mondiale. Toujours accompagnés de différents formes de capitalisme. Les pays démocratiques sont devenus, en 2019, moins nombreux 87 que les pays autoritaires 92 (Le Monde 25/11/20). Sur les quelque 200 pays membres des Nations Unies, le nombre de démocraties diminue depuis la fin du XXe siècle.
En 2016, l’ONG Freedom House affiche un mauvais bilan. Cette année-là, 67 pays ont connu un net recul en matière de droits politiques et de libertés civiles. Cela marque la onzième année d’affilée au cours de laquelle le déclin de la démocratie l’emporte sur le progrès.
Dans les régimes démocratiques, libérés de la double menace de l’Union soviétique à l’extérieur et des partis communistes à l’intérieur, les forces politiques se sentent les mains plus libres pour gouverner dans leurs intérêts et revenir sur des conquêtes sociales. Les pays de l’UE dominés par les forces libérales, voient les forces de droite et d’extrême droite progresser dans tous les pays.
En France, en 2017, environ un quart des suffrages exprimés (24,01 %) soutiennent Emmanuel Macron au premier tour de l’élection et son programme. Il est élu au second tour (66,10 % des suffrages exprimés), non sur son programme mais par rejet de la candidate opposée, Marine Le Pen (33,90 %). En 2022, la situation est peu différente, les deux candidats obtiennent un pourcentage plus élevé de voix au premier tour (+ 3,86 points pour Macron et +1,60 pour Marine Le Pen). Au second tour, le rejet de Marine Le Pen est bien moindre. Elle progresse, nettement, de 33,90 en 2017 à 41,45 % en 2022, les votes favorables à Emmanuel Macron passant de 66,10 à 58,55 %.
La candidature, le quinquennat d’Emmanuel Macron ne paraissent pas freiner la progression électorale du FN-RN.
Le pouvoir exercé par le président de la République, avec une majorité relative, n’a de soutien possible que de la droite et comme opposition que l’extrême droite, toutes deux le tirant dans le même sens. La gauche ne faisant que de la figuration.
Étant donnée la composition sociale et politique des chambres, aussi bien de l’Assemblé nationale que du Sénat, les forces populaires n’ont plus comme moyens démocratiques, pour se faire entendre, que les grèves et manifestations qui autrefois pouvaient être entendues. Mais qui ne pèsent pas assez pour s’opposer aux forces du rouleau compresseur idéologique et politique du libéralisme… Désordonnées comme les gilets jaunes ou bien organisées comme les manifestations syndicales unitaires, toujours avec le soutien de la majorité des la population. Toujours sans débouché politique.
QUEL AVENIR ?
Les régimes, démocratiques ou non, pourront-ils maintenir des politiques qui ne traitent ni les problèmes de fin de mois, ni les problèmes de fin du monde ? Pour le moment, face à ces régimes qui manipulent, de façon discrète ou voyante les élections, les masses populaires essaient de s’opposer par des actions individuelles ou collectives, de types divers, pacifiques ou violentes, actions que les gouvernements neutralisent par des moyens plus ou moins musclés. Ou canalisent le mécontentement vers populisme et nationalisme.
Que va-t-il se passer ? Si la voie électorale est fermée à tout changement. Si les inégalités s’aggravent. Si le pouvoir est sourd aux mouvement sociaux, plus ou moins violents (gilets jaunes), ou pacifiques, manifestations syndicales unitaires, tous soutenus par la population. S’il est incapable, démocratique ou non, de répondre aux questions du jour et d’obtenir un soutien important pour une politique qui prenne en charge et la fin du mois et la fin du monde.
Les démocraties actuelles, non seulement en France, devant la montée des inégalités économiques et sociales et les désastres environnementaux, courent le risque d’un embrasement social aux conséquences incertaines.