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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 20:44

 

Trois hommes de foi se penchent sur les versets qui, dans leurs textes sacrés, peuvent conduire à des affrontements interreligieux graves.

 

Yves Simoens, jésuite, n'interroge que l'Évangile de Jean sur les juifs, David Meyer, rabbin, et Soheib Bencheikh, imam, se penchent sur l'ensemble des textes en commençant par expliquer leur nature.

 

David Meyer rappelle que seule la Torah est un texte « révélé » par Dieu à Moïse et donc « supposé » (DM) parfait puisque d'origine divine et inspirée. Le Talmud, particulièrement riche en « versets douloureux » n'est qu'une « compilation de dictons rabbiniques » visant à « créer un code de lois juives » et à « encadrer le peuple juif dans la pratique quotidienne de sa religion ».

Soheib Bencheikh sépare, de la même façon, le Coran, « l'unique source divine et infaillible » du fiqh, jurisprudence islamique, « ni sacré, ni immuable », et les hadith recueil de paroles, de faits et gestes attribués à Mohamed.

 

Tous deux vont relire Talmud, fiqh ou hadiths en essayant de les interpréter, de les relativiser, en fonction du lieu, du moment et des personnes qui sont à leur origine. Cette critique « historique » est aussi la démarche de YS lisant l'Évangile de Jean.

 

Le Christ est en Judée et n'est pas « reconnu » par les Juifs de Judée qui le recherchent pour le tuer. Cela ne met nullement en cause tous les juifs de tous les temps mais seulement les juifs de Judée au moment où Jésus parcourt cette terre.

Parmi les douze disciples qu'il a choisis, l'un le trahit, l'autre le renie ! Ils n'en demeurent pas moins ses disciples. Ce que condamne le Christ, ce sont les péchés, non les pécheurs. Et de même que Jésus ne condamne pas Judas qu'il a choisi et qui le trahit, de même il ne condamne pas les juifs. « Il devrait être clair pour le regard chrétien que le juif demeure élu de Dieu et plus aimé que quiconque parce qu'il est le plus menacé ».

 

Pour arriver à cette relativisation par l'histoire des rapports de l'Église avec les juifs, YS reconnaît qu'il a quand même fallu des siècles et le livre de Jules Isaac sur « l'enseignement du mépris » venant après la Shoah. Jean XXIII supprime la prière pour les juifs déicides, le vendredi saint !

 

Il est relativement compréhensible que le Talmud, le fiqh, les hadiths énoncés par les hommes puisse être rediscutés aujourd'hui et qu'ils puissent comme le dit David Meyer écrire de nouvelles choses dans les marges de la Torah. Il est plus difficile et beaucoup moins compréhensible pour les croyants de voir discuter un texte « révélé  donné par Dieu à Moïse » (Torah) ou réputé «unique source divine et  infaillible » (Coran).

 

Pour David Meyer comme pour Soheib Bencheikh, il ne faut pas toujours prendre le texte à la lettre, sous peine de courir le risque d'entrer dans la barbarie. Si la parole de Dieu est sacrée, Dieu seul connaît l'interprétation vraie des textes. Et chacun doit interpréter le texte sans que cette interprétation puisse se dire la « vraie » et sans qu'elle devienne obligatoire pour tous.

 

S'attaquant aux versets les plus douloureux, par nature, de la Torah (le sacrifice d'Isaac, la destruction de Sodome et Gomorrhe), David Meyer y voit un dialogue nécessaire entre Dieu et sa créature qui ne peut être enfermée dans la seule soumission. Dieu et l'Homme sont partenaires. La justice s'impose à tous, même à Dieu. Quand Abraham discute l'ordre de détruire Sodome et Gomorrhe, il est dans son rôle de partenaire mais ne va malheureusement pas au bout du marchandage : S'il y a 50 justes ? S'il y a 10 justes ? et il ne pousse pas jusqu'à, et s'il n'y en a qu'un ? Plus grave, il ne discute pas du tout l'ordre de sacrifier son fils. Lors de cette demande, Dieu ne s'attend pas à une obéissance aveugle mais à une objection qui ne vient pas. Malgré cela, Isaac n'est pas sacrifié. La vie est sacrée.

Pour David Meyer, le livre de Josué, particulièrement douloureux, a été maintenu dans la Bible, non « pour justifier toutes les conquêtes mais au contraire pour faire naître un sentiment intuitif de rejet devant l'horreur. Le livre ne doit pas être une source de légitimation mais de réflexion ».

A travers l'histoire et malgré les versets douloureux, les rabbins se sont ingéniés à contourner les textes pour que le génocide qui était en apparence permis ne soit jamais mis en pratique.

 

Pour David Meyer, la Torah n'est pas un livre qui assène la vérité, indiscutable, mais un livre qui doit susciter la réflexion. Au risque de la transgression. Dans l’esprit du Talmud ; « Il y a des cas où transgresser la lettre de la loi, c’est précisément respecter son esprit ».

 Soheib Bencheikh reprend de nombreux reproches faits à l'islam pour montrer qu'ils n'ont, le plus souvent, pas une origine coranique et les rattache à des circonstances
historiques. Mais il n'hésite pas à affirmer que, si le Coran est divin et infaillible, il n'en reste pas moins tributaire de son temps et a subi des variations au moment de la révélation. Il s'étonne même : « Il est curieux que Dieu, pendant 23 ans, ait favorisé cette évolution dans la législation pour ensuite la voir stagner pendant 14 siècles. » Personne, dit-il, « n'a jamais rencontré une Bible ou un Coran qui s'exprime par lui-même ». Par contre, il est facile de rencontrer des hommes qui interpêtent les textes,
souvent de façon très différentes. Ce qui conduit le rabbin comme l'imam à dire qu'il faut
rechercher dans les textes l'enseignement divin, qu'il faut le dégager de son « réceptacle
purement humain ». Qu'il faut surtout se libérer des lectures littérales qui font des versets
douloureux des versets dangereux. Ce qui conduit à une théologie de la transgression, non de la parole de Dieu, mais de ses
interprétations traditionnelles, institutionnelles ou non. Il faut, dit Soheib Bencheikh, et
ce n'est certainement pas à ses yeux valable seulement pour le Coran et l'islam, « délivrer
le patrimoine coranique des mains de l'obscurantisme et de l'intrigue notamment politique ». Pour lui, l'avenir de la planète en dépend, « sachant que le quart de l'humanité est de
confession musulmane ». De plus, « avec la sécularisation du monde occidental et la
laïcisation de l'art de gouverner, l'islam et son droit classique se trouvent largement
dépassés... La sécularisation de la société dans l'Europe chrétienne n'a pas attendu le
concile de Vatican II. L'islam n'est pas différent à cet égard : ou il marche avec son
siècle ou il reste en marge de la société moderne » A la question « qu'est-ce qui oblige à une lecture différente », les 3 auteurs ont des
réponses proches : YS : « D'abord ma conscience morale d'homme, de chrétien,de religieux jésuite, de
prêtre catholique... » DM : « Ce texte , on peut le lire de telle ou telle façon, il y en a une qui me semble
acceptable, il y en a une qui me semble tout à fait inacceptable... Nous avons là une
opposition entre une lecture éthique de ce verset et une lecture littérale. C'est l'éthique
qui l'emporte. Ce n'est pas l'éthique du XXIè siècle mais c'est celle du bon sens.... »
SB : « On ne lit pas le Coran pour l'aduler mais pour chercher des solutions pour soi. Revenir à la conscience individuelle... Libération du Coran de toutes ses interprétations
dépassées par le temps mais aussi la libération de l'idée de Dieu du Coran lui-même ». Comme le dit Alexande Adler dans la préface, les « Livres saints ne sont plus...
un aboutissement des relations entre l'homme et le divin mais seulement un point de
départ ». Qui laisse beaucoup de place au doute pour ne pas dire au scepticisme quand
on voit le jeu des interprétations qui, ici, disent qu'il faut se détacher de l'histoire pour
« trouver dans le texte son message intemporel et universel » et là qu'il faut au contraire
« relire le verset dans son contexte car ce n'est qu'à cette condition qu'il a un sens ». A la question fondamentale d'Alexandre Adler, « pouvons-nous encore nous dire
monothéistes ? », il semble difficile de répondre « oui ». Après les horreurs perpétrées à
travers l'histoire au nom des textes sacrés ou sous leur influence directe ou indirecte. L'exégèse des textes sacrés semble faite pour aider ceux qui ont la foi et que ces textes
désorientent plus qu'ils ne les aident à vivre. Pour cela, il faut aller chercher leur sens
dans la « conscience morale d'homme » (YS), dans l'éthique du « bon sens » (DM),
dans la « conscience individuelle » (SB). N'est-ce pas là un hommage à l'humanisme et à la raison trop souvent mis à mal par
l'interprétation de versets qui sont douloureux pour certains mais dangereux pour tous ?

* Les Versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entr conflit et dialogue.
David Meyer, Yves Simoens, Soheib Bencheikh.
Lessius 2007

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