A la demande de parlementaires, députés et sénateurs, et après consultation du Conseil constitutionnel, le gouvernement a dû mettre en place le recueil de signatures en faveur d’un éventuel référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris.
La procédure du référendum d’initiative partagée (RIP), instauré en 2008, est activée pour la première fois, le 10 avril 2019 : 248 députés et sénateurs (la loi exige au moins un cinquième des parlementaires) de l'opposition, communistes, insoumis, républicains, socialistes, déposent une proposition de loi pour que le groupe Aéroports de Paris (ADP) soit considéré comme un service public. Le 9 mai, le Conseil constitutionnel juge que les conditions requises sont respectées et fixe le nombre de soutiens nécessaires à 4 717 396. Le ministère de l’Intérieur ouvre la la plateforme en ligne pour collecter les soutiens à la proposition de loi dont le recueil est ouvert jusqu’au 12 mars 2020 (1) (Referendum.intérieur.gouv.fr).
Avec des modalités telles que les premiers candidats pour soutenir la pétition, probablement les plus motivés, ont souvent dû s’y reprendre à plusieurs fois ! Combien de citoyens ont abandonné ou abandonneront en cours d’inscription ?
La signature peut se faire aussi dans certaines mairies. Dans chaque canton, la commune la plus peuplée a été mandatée pour les enregistrer. Il faut donc signer la pétition par internet, soit se rendre à la mairie de la commune ou à une autre mairie du canton !! Obstacles supplémentaires au soutien.
Cette pétition a pour but de soutenir l’organisation d’un référendum pour ou contre la privatisation d’ADP.
En effet, si le nombre nécessaire de signataires est atteint, l’Assemblée nationale et le Sénat auront six mois pour examiner ou non la proposition. Si aucune des deux chambres n’examine le texte, le président de la République doit organiser un référendum pour ou contre la privatisation.
Mais si l’une des deux Chambres ou les deux se saisissent du texte, quoi qu’elles en fassent, il n’y aura pas de RIP. Étant donnée la majorité écrasante dont dispose le gouvernement à l’Assemblée nationale, il lui sera facile de mettre la proposition à l’ordre du jour et bloquer le référendum et le débat populaire sur la privatisation.
La mauvaise volonté du gouvernement porte surtout sur la nature démocratique et politique du processus. Il faut empêcher toute possibilité de prise de décision directe par le peuple français.
Le RIP est une démonstration parfaite de la nature démocratique de la République : il doit rester dans son coffret constitutionnel. Même après l’intention proclamée par le candidat Macron d’en faciliter l’usage (2). Mais attaqué férocement par son gouvernement et ses soutiens dès l’annonce d’un début de procédure : la République, au moins la démocratie représentative, serait en danger si on appliquait une loi constitutionnelle mise en place par le Parlement et dont la procédure est déclenchée par des parlementaires !!!
Si le RIP ne peut être appliqué sans risque pour la démocratie représentative, inutile de parler du RIC, référendum d’initiative citoyenne ! Les Gilets jaunes ne peuvent se faire d’illusion sur la question : le RIC ne verra pas le jour...
La mauvais volonté du gouvernement s’explique. Certaines de ses décisions, avalisées automatiquement par une Assemblée nationale aux ordres, pourraient être contestées par un RIP à l’initiative de quelques parlementaires.
Ce qui l’est beaucoup plus étonnant, c’est le silence des groupes et des parlementaires qui sont à l’origine de cette pétition.
Combien de réunions publiques ? Combien de collectifs ? Combien des tracts ? Combien d’affiches ont été organisées, publiées, diffusées ? Ce qui a fait l’intérêt du référendum de 2005, ce n’est pas seulement le résultat, qui a été méprisé par les parlementaires. C’est surtout la mobilisation populaire qui a eu valeur de formation politique et qui a permis la compréhension du Projet de constitution européenne, et son rejet par de très nombreux citoyens.
Ceux qui gouvernent ont retenu la leçon. Ce profond mouvement de démocratie concrète ne doit plus se reproduire.
Les politiques, les médias ont bien compris qu’il est plus facile d’amuser les électeurs avec des affaires touchant des politiques comme le dopage touchant des sportifs ou avec une rivalité entre candidats comme ils le font pour une compétition sportive.
Si le candidat, une fois élu, fait exactement le contraire de ce qu’il avait annoncé, il n’y a aucun recours possible pour le citoyen berné.
Il n’en est pas de même pour un texte que chacun peut lire, expliquer, décortiquer, publiquement ou en petits groupes. Et refuser...
La démocratie française, comme bien d’autres, c’est le pouvoir donné aux oligarques, aux compétents. Qui savent ce qui est bon pour tous. A leurs yeux, le peuple est compétent pour élire, librement, un de leurs candidats interchangeables. Il ne l’est plus pour lire, discuter, comprendre un texte et se déterminer essentiellement en fonction de ce texte. Pour voter après un vrai débat.
Emmanuel Macron ne cache pas son jeu. Il a bien montré ce qu’il entend par Un Grand Débat National.
La pétition lancée, le nombre de signatures obtenues peut avoir un impact considérable. Ce serait une faute politique grave de négliger d’y participer. Il peut changer le rapport des forces politiques.
Si les signatures sont peu nombreuses, cela confortera Emmanuel Macron dans l’idée qu’il a carte blanche pour poursuivre sa politique austéritaire. Non seulement la privatisation d’ADP ou de tout autre entreprise du nucléaire aux barrages hydroélectriques mais sa politique libérale de destruction de l’État et des lois sociales. Comme il l’a déjà fait pour le code du travail.
Un succès de la pétition n’arrêtera pas obligatoirement la privatisation d’ADP. La procédure peut être bloquée au niveau de l’Assemblée nationale. Mais un nombre de signatures très important, malgré les entraves gouvernementales, changera le rapport de force. Déjà, la bataille des Gilets jaunes, même s’ils n’ont pas obtenu satisfaction sur tout - il suffit de penser à l’impôt sur la fortune ou à l’APL – oblige Emmanuel Macron à être moins bravache et à retenir sa cravache...
La pétition peut lui montrer qu’il ne peut pas toujours passer outre la volonté populaire, qu’il a simplement le choix de soumettre sa politique au jugement du peuple qui peut se faire par référendum ou par…. de nouveaux Gilets jaunes, rouges, verts ou arc-en-ciel...
Dans cette optique, il est infiniment souhaitable que des collectifs se mettent en place pour multiplier les signatures. Le débat est important. Il ne porte pas sur la seule privatisation d’ADP ou de…
Mais sur la possibilité pour les citoyens de prendre en main une partie du pouvoir et de faciliter la prise de conscience qu’on ne peut laisser en place une personne qui défend seulement les intérêts de quelques uns !Ne pas signer la pétition, ce n’est pas seulement prendre position pour la privatisation d’ADP, c’est voter contre la pratique du RIP, c’est laisser les mains libres à Macron.
Le résultat serait terrible pour Macron si des millions de citoyens revendiquaient un véritable débat. La défaite serait terrible si les 4 millions de signatures n’étaient pas obtenues quelles que soient les manœuvres entreprises pour limiter la mobilisation.
Si le nombre de signatures nécessaires n’est pas obtenu, cela veut dire une large avenue ouverte à Emmanuel Macron sur les privatisations et pas seulement…
Le RIP pourra reposer en paix dans les textes. Les citoyens auront été électoralement nassés. Comment réagiront-ils ? De quelle couleur seront les prochains gilets ?
1 - Le citoyen qui veut soutenir la pétition doit, muni de ses cartes d’identité et d’électeur, remplir un questionnaire sur son état civil. Il faut mentionner les informations telles qu’elles sont inscrites sur ses cartes notamment tous les prénoms.
La collecte se termine officiellement le 12 mars 2020 à minuit. Pour le moment, le rythme de collecte des signatures est largement insuffisant pour obtenir le nombre nécessaire pour la réussite. Voir le site adprip.fr
2 - Le 25 avril, le président Macron déclare vouloir "aller plus loin" sur le RIP " en simplifiant les règles, en permettant que l'initiative puisse venir de citoyens, un million de citoyens qui signeraient une pétition et qu'elle puisse prospérer en projet de loi et si elle n'était pas examinée par les assemblées, aller au référendum" (L’Express 16/05/19).
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