Hélas, ce détournement de la démocratie n’est pas une spécialité française. Elle se retrouve, sous des formes adaptées à chaque pays, dans tout les pays dits démocratiques. Rien d’étonnant que, partout, le premier parti soit celui des non-participants aux élections. Elles sont manifestement trop biaisées.
En France, les règles sont un mélange de régime présidentiel et de régime parlementaire qui permet à une minorité d’accaparer le pouvoir : le président a obtenu les suffrages de moins d'un cinquième des adultes du pays, il dispose d'une majorité écrasante et inconditionnelle à l’Assemblée nationale. Cela en fait le maître absolu de l’ordre du jour et de l’initiative législative.
Jacques Chirac a été élu, au second tour de la présidentielle, avec une majorité confortable de suffrages, non pour son programme mais pour faire barrage à Le Pen père. Élu, il a oublié qui l'avait fait président. Emmanuel Macron, champion d'un nouveau monde, a bien compris l’ancien. Élu, dans les mêmes conditions, face à Le Pen fille, il en profite pour satisfaire ses mandants réels au détriment de la majorité de ceux qui ont voté pour lui.
Finalement, une explosion jaune conduit tout le monde à reconnaître qu'il existe une petite anomalie : il faudrait remettre, un peu, en jeu les corps intermédiaires négligés, discuter, un peu, pour expliquer au peuple les mesures intelligentes qu'on va lui infliger pour son bien...
Après 6 mois de jaunisse, 3 mois de Grand débat national (1) – consciencieusement utilisé comme campagne électorale de mi-mandat et pour préparer les élections européennes - le président Macron a sorti du chapeau la double avancée démocratique qu’il y avait mise : face à la revendication du référendum d’initiative citoyenne (RIC), il propose une facilitation du RIP, référendum d’initiative partagée (2) - avec une réduction du nombre de signatures nécessaires - et un brin de proportionnelle lors des élections législatives .
L’avenir de ces propositions a, cependant, un avenir incertain.
Tout d’abord, il convient de souligner que l’initiative n’est pas partagée : ce sont les parlementaires seuls (députés et sénateurs) qui peuvent déclencher le processus. Ils doivent être 185 à faire la demande. Ils ont été 248 (PS, PC, LR, FI) sur le projet de privatisation d’Aéroport de Paris.
Cette initiative doit ensuite être reconnue conforme par le Conseil constitutionnel, assemblée bien connue d’antiparlementaires extrémistes, peut-être noyautée discrètement par les Gilets jaunes. Quoi qu’il en soit, ce deuxième stade est franchi.
Mais l’autorisation du Conseil constitutionnel ne veut pas dire que le référendum aura lieu. Il faut d’abord recueillir l’accord de plus de 10 % du corps électoral, soit plus de 4,7 millions de signatures dans les 9 mois. En cas de succès, pour bloquer l’éventuel référendum, il suffira alors que l’Assemblée nationale ou le Sénat s’emparent de la proposition. Ce que permettra la large majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.
Au total, il ne s’agit pas d’un référendum mais de la possibilité de faire inscrire un sujet à l’ordre du jour du parlement. Il ne s’agit pas d’une initiative partagée mais d’une initiative parlementaire appuyée par une partie importante des citoyens. Qui ne semble pas mettre en question la démocratie parlementaire. Au contraire, cela donne une possibilité d’initiative aux parlementaires qui doivent recevoir l’appui de citoyens dans un cadre constitutionnel clairement défini..
Le lendemain de la décision du Conseil constitutionnel, le titre ADP chute en bourse de 9,73%. Les éditorialistes s’affolent. La Démocratie est en danger !
Pourtant la décision de privatiser à tout va est largement contestée. L’exemplarité de la privatisation passée des autoroutes est fortement mise en cause : certains parlent même du précédent calamiteux de la privatisation des sociétés d’autoroutes. L’intérêt économique et financier d’une telle privatisation est fortement discutée. Comme celle annoncée des barrages hydroélectriques.
Ces privatisations ne sont pas exigées par l’Union européenne. Elles visent simplement à soulager des contraintes budgétaires d’aujourd’hui au détriment de rentrées financières permanentes.
Pour le Gouvernement, si à chaque fois que la majorité vote une loi, 185 parlementaires peuvent retarder son application de plus de 9 mois, cela créerait une situation dangereuse pour la conduite de l’action publique.
Mais tout le mode sait que le Conseil constitutionnel est là pour limiter, suivant la loi, la possibilité de RIP, à certains cas prévus par la Constitution : « organisation des pouvoirs publics ... réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale… « la ratification d’un traité ».
Ce risque même s’il est limité ne va pas conduire le président de la République à se précipiter pour instiller, comme annoncé, un peu de proportionnelle dans les élections législatives. Cela ne pourrait que renforcer le nombre d’opposants à l’Assemblée nationale susceptibles de mettre à nouveau en jeu un éventuel RIP.
Cela confortera plutôt le président dans sa volonté de diminuer le nombre et les moyens de députés et de sénateurs.
Après 6 mois de manifestations des GJ, soutenues, d’après les sondages, par la population malgré la forte répression et les imprécations radio-télévisées, malgré 3 mois de Grand débat, les réponses que proposait Emmanuel Macron pour répondre à la revendication du RIC semblent mal parties.
Il y a de fortes chances pour que le président de la République retrouve la sagesse et sacrifie ses velléités de faciliter le RIP et d’instaurer une dose significative de proportionnelle.
On le sait depuis longtemps. C’est le peuple qui gouverne à condition de vouloir ce que veulent les compétents. Sinon, il y a toujours une façon de contourner sa volonté. En force ou en douceur.
Le contournement des résultats du référendum de 2005, qui n’avait pas été demandé par un RIP, il n’existait pas à l’époque, l’a bien montré. Et le passage en force de la loi sur le travail. Et la brutale répression des gilets jaunes… Et demain ???
A défaut de rétablir l’ISF, à défaut de faciliter le RIP, à défaut de proportionnelle, le président supprimera peut-être l’ENA que personne n’a demandée. Il n’est pas sûr que cela satisfasse et les Gilets jaunes, et la population.
Qui fait courir un risque à la démocratie, représentative ou non, déjà malade ? Ceux qui veulent limiter ou supprimer une possibilité d’initiative parlementaire qui n’a encore jamais été utilisée depuis 2008 ? Ceux qui veulent diminuer le nombre de parlementaires et leurs moyens ? Ceux qui veulent passer en force pour imposer des mesures qui compromettent l’avenir et qui sont rejetées même par des soutiens des pouvoirs en place ?
Non, ce sont bien évidemment ceux qui manifestent, qu’ils soient syndicalistes ou Gilets jaunes pour défendre l’intérêt général contre la privatisation d’investissements nationaux amortis depuis longtemps et maintenant rentables ?
Est-ce la réponse aux Gilets jaunes ? Ou faudra-t-il l’irruption de Gilets rouges pour convaincre les oligarques ?
2 - Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République adoptée à la quasi unanimité des parlementaires de droite et du centre. Contestée lors de sa première tentative d’application : elle devient un grave problème de démocratie d’après l’entourage du Premier ministre.
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