DROIT DE VOTE DES RÉSIDENTS ÉTRANGERS,
QUE FAIRE ? (1)
Après l'échec de la revendication du droit de vote pour les résidents étrangers en vue des élections municipales de 2014, la question a disparu de l'actualité politique. Elle réapparaîtra probablement avec la mise au point des programmes en vue de la présidentielle et au mois de juin avec le référendum sur l'ouverture du droit de vote aux résidents étrangers pour les élections législatives au Luxembourg..
Égalité, socle fondamental de la revendication
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. ». La revendication du droit de vote pour tous n'est qu'une application de ce principe. Elle n'est légitimée ni par ce que font les autres pays, ni par ce que veulent les pays d'origine, ni par ce que pensent les gens de droite ou de gauche. Ni même par ce que veulent les résidents étrangers.
L'application du principe d'égalité, et donc le droit de vote, ne dépend que des possibilités politiques du moment.
Quel droit de vote ?
Droit de vote et d'éligibilité à toutes les élections. C'est l'égalité pure et simple au niveau des élections : le suffrage réellement universel.
Reste la faisabilité. Lors du sondage de La Lettre de la citoyenneté de 2006, 50 % des sondés étaient favorables au droit de vote pour les élections municipales et européennes, 41 % pour les législatives, 37 % pour les présidentielles. Ce qui donne une idée de la « difficulté ajoutée » en fonction du type d'élection. Ce n'est pas, cependant, une mauvaise base de départ. Les résultats des premiers sondages de La Lettre de la citoyenneté sur le droit de vote pour les municipales et européennes étaient bien moins favorables.
Le droit de vote aux élections nationales existe dans certains pays, notamment en Nouvelle-Zélande depuis 1975. Il va faire l'objet d'un référendum au Luxembourg.
En France, peu d'organisations sont prêtes à s'engager réellement au delà du principe. Les chances de voir naître une telle campagne sont faibles et encore plus faibles de la voir aboutir. Rien n'empêche cependant une nouvelle réflexion, un nouveau travail théorique.
Droit de vote aux élections municipales et européennes
Le traité de Maastricht a créé la citoyenneté de l'Union européenne (UE) : les citoyens de pays de l'UE résidant en France ont désormais le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes. C'est la première fois que la citoyenneté, le droit de vote ne sont reconnus que pour certaines élections. D'autre part, la nationalité est le seul critère retenu. Peu importent le degré d'intégration, l'ancienneté de résidence...
D'où l'idée de La Lettre de la citoyenneté de lancer, en 1994, le premier sondage sur l'extension éventuelle à tous les résidents étrangers, quelle que soit leur nationalité, du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes. Qui met en évidence une discrimination, une hiérarchie créées par le traité, en fonction de la nationalité.
Cette référence au traité de Maastricht a probablement favorisé l’évolution des mentalités mais commentateurs, militants, journalistes, politiques n'ont jamais voulu voir dans les résultats de ces sondages que le mot « municipales », oubliant « européennes ».
Les tentatives pour étendre la campagne aux pays de l'UE, et la « pétition du million », lancée de façon trop artisanale, n'ont pas été fructueuses malgré l'existence dans plusieurs pays de campagnes nationales pour le droitd e vote aux élections municipales. Seuls le Conseil économique et social européen et le Parlement européen (PE), directement concerné, ont pris position en ce sens.
Au niveau européen, la citoyenneté est divisée en castes : les citoyens à part entière (nationaux avec le droit de vote à toutes les élections), les citoyens de l'UE qui résident dans un pays de l'UE dont ils n'ont pas la nationalité (droit de vote aux élections municipales et européennes), les citoyens des États tiers qui ont ou n'ont pas le droit de vote avec ou sans éligibilité aux élections municipales suivant la législation de leur pays de résidence.
Droit de vote aux élections municipales.
Les campagnes en faveur du droit de vote ont toujours porté seulement sur le droit de vote aux élections municipales que certains, par un glissement sémantique qui se veut rusé, qualifient de « locales ». Ce qui a pu entraîner des inepties car les élections locales sont les élections municipales, cantonales et régionales. L'extension du droit de vote à ces élections locales, donnerait de nouveaux droits à tous les résidents étrangers, citoyens de l'UE ou non. Les citoyens de l'UE ayant en plus le droit de vote aux européennes.
L'obtention du droit de vote aux municipales ou locales serait un progrès, elle n'effacerait pas la hiérarchie de citoyenneté entre nationaux, européens et non européens.
Les obstacles
Quelle que soit la revendication, les obstacles sont les mêmes plus ou moins difficiles à franchir, suivant le type d'élection d'élection retenue.
1 – Il faut réformer la Constitution.
- Réformer la Constitution n'a pas été nécessaire pour attribuer les droit de vote aux élections européennes (2). Mais, le PE a de nouveaux pouvoirs. Que dirait le Conseil constitutionnel aujourd'hui ? Aucun texte n'a été adopté à l'Assemblée nationale (AN) pour étendre ce droit de vote aux résidents non européens. La majorité de gauche pouvait le faire. Elle ne l'a pas fait. Le véritable obstacle est politique.
- Une loi simple suffit pour modifier les textes sur la nationalité et ainsi, élargir ou restreindre le corps électoral. La droite dit souvent préférer « faciliter l'acquisition de la nationalité à donner le droit de vote » : à ce jour, toutes ses propositions de loi visent à rendre plus difficile l'attribution ou d'acquisition de la nationalité.
- Pour toutes les autres élections politiques, locales ou nationales, il faut réformer la Constitution. Parce que les conseillers municipaux et autres élus locaux élisent les sénateurs ce qui a donc une incidence sur la politique nationale.
Dans de certains pays, les municipales sont des élections administratives, ne jouent pas sur les pouvoirs au niveau national. Ceci rend plus facile la réforme du corps électoral.
- Connaissant cette difficulté, il n'est plus possible, après plus de 30 ans de déclarations, articles, promesses, motions, programmes, engagements, de se satisfaire encore de déclarations, articles, promesses, motions, programmes, engagements. Ou même de propositions de loi. Il faut exiger des politiques une réponse précise à la question : COMMENT ?
2- Comment réformer la Constitution
A défaut de réponse précise des politiques sur le comment, il est possible de faire des suggestions.
- Par référendum
Aucun président de la République ne prendra l'initiative d'un référendum sur la question s'il n'est pas assuré du succès. D'autant que les citoyens ne se déterminent pas seulement en fonction de la question posée et profitent du scrutin pour voter pour ou contre le président.
Deux possibilités :
- Comme lors du traité de Maastricht, la question pourrait être comprise dans une refonte importante, éventuellement consensuelle, de la Constitution. C'est ce que semble suggérer M. Aubry : « recours à un référendum en juin 2016 » sur « le droit de vote des étrangers mais aussi le service civique, la protection des ressources naturelles ou encore la lutte contre l'évasion fiscale » (3).
- Organiser un référendum à questions multiples : lors d'une même consultation, plusieurs réformes sont proposées dont le droit de vote. Le citoyen peut répondre « oui » à certaines, « non » à d'autres, sans que cela entraîne désaveu, démission... Cette méthode a l'avantage de libérer le référendum de son aspect plébiscitaire. Ce serait un progrès démocratique.
- Par voie parlementaire
- Une loi constitutionnelle doit être adoptée, à la majorité simple, à l'AN et au Sénat et à la majorité des trois cinquièmes, par ces deux assemblées réunies en Congrès.
Ces conditions n'ont jamais été remplies pour le droit de vote des résidents étrangers. Il est fort peu probable pour qu'elles le soient dans un avenir prévisible.
- Il n'y aura pas de majorité « constitutionnelle » pour le droit de vote, sans une participation de parlementaires de droite.
- La tâche est donc de convaincre des parlementaires de droite. D'interroger les parlementaires favorables, de droite et de gauche, pour voir s'ils sont prêts à s'engager publiquement. A signer un texte commun. A constituer un intergroupe. A voter une réforme de la Constitution.
Ce travail a été ébauché dans des rencontres avec Yves Jégo ou des centristes, favorables au droit de vote. Il n'a pas abouti.
- A défaut, faudra-t-il attendre qu'un président de droite impose à ses troupes cette réforme ?
3 - La France est un pays modérément démocratique.
Pour obtenir le suffrage un universel masculin, il a fallu deux révolutions, 1789-1848. La Résistance et la Libération pour son extension aux femmes. L'adoption du traité de Maastricht pour le droit de vote aux élections municipales et européennes des citoyens européens non français.
Seule, l'extension aux 18-21 ans a été obtenue de façon « démocratique » même si le président Valéry Giscard d'Estaing a un peu forcé la main de certains.
Que faudra-t-il pour que soit attribué u n droit de vote à tous les résidents quelle que soit leur nationalité ?
4 - La mobilisation a été insuffisante.
Bien que les organisations favorables au droit de vote des résidents étrangers pour les élections municipales soient nombreuses, leur engagement n'a jamais été réellement important. Pour de multiples raisons.
- C'est une revendication symbolique qui touche essentiellement les principes à un moment de forte désaffection pour la participation électorale.
- Ce n'est une question de vie ou de mort ou de survie pour personne. Quand des milliers de personnes sans papiers vivent sur le territoire national, quand des milliers meurent en Méditerranée, quand le chômage, la situation dans les quartiers populaires....
- Les intéressés et les associations « issues de l'immigration » se mobilisent peu, même si toutes soutiennent la revendication.
- Il n'y a pas eu de mouvement fort comme « la marche pour l'égalité et contre le racisme », partie sans revendication et obtenant la carte de résident ; ou comme « touche pas à mon pote ».
- Les campagnes sont restées relativement discrètes, malgré le succès relatif de « votation citoyenne »
- Lors des Congrès des partis, syndicats, associations, les déclarations et les motions en faveur du droit de vote sont largement adoptées et fortement applaudies... Peu suivies d'effets, en dehors de deux propositions de loi votées à l'AN.
- Aucune personnalité d'envergure nationale ne s'est réellement engagée.
Que faire ?
Il faut un travail important pour faire aboutir une revendication déjà ancienne.
- Trouver la ou les personnalités, politiques, intellectuelles, d'envergure nationale qui accepteraient de s’engager, « corps et biens », seules ou collectivement.
- Susciter des prises de position, des articles, des rencontres pour faire avancer la réflexion surtout sur le comment.
- Avancer le droit de vote chaque fois qu'il est question d'égalité, de citoyenneté, active, participative, de démocratie en posant sans répit le Quand ? Le Comment ? Surtout quand il est question de citoyenneté des jeunes, de vote obligatoire.
- S'insérer, à temps et à contre-temps, dans toute campagne surtout concernant les résidents étrangers.
- Profiter de tous les événements qui montrent l'engagementdans la cité de ceux à qui la citoyenneté n'est pas reconnue commelors de l'attentat du supermarché casher de Vincennes, la découverte d'un président des jeunes UMP aux papiers incertains, la reconnaissance comme meilleurapprenti de France d'une jeunesans papiers...
- Promouvoir la citoyenneté de résidence comme facteur favorisant l'inclusion, le vivre ensemble, la démocratie.
- Les sondages de La Lettre de la citoyenneté malgré leurs qualités (continuité de la méthode, évolution des réponses), n'ont pas eu l'accueil mérité, sauf en 1999. Leurs résultats doivent mis en relief.
- Les réseaux sociaux ne sont pas utilisés. Ni en propre, par un blog ou un site affecté, ni par des interventions régulières dans les réseaux existants
Des facteurs favorables
La situation peut être ressentie comme un retour à la case départ. Sans beaucoup de perspectives. Et pourtant.
- La résistance de la population est remarquable malgré tout ce qui est fait pour stigmatiser l'immigration : déclarations, campagnes sur l'identité nationale, mesures gouvernementales, enracinement de l'extrême droite, libération de la parole raciste, proposition de débat sur l'islam...
- Les déclarations ou motions en faveur du droit de vote recueillent toujours un soutien important et enthousiaste, dans les partis de gauche, les syndicats...
- Les résultats des sondages de La Lettre de la citoyenneté sont bien meilleurs 59, 54, 47 % pour les 3 derniers sondages que 32, 30, 28 % pour des 3 premiers (1994, 1995, 1996).
- La bataille idéologique a été gagnée : la droite a renoncé aux arguments de principe et n’avance que des arguments de circonstance (après 10 ans de présence), pour retarder la décision (ce n'est pas le moment)... Depuis Maastricht, le lien nationalité-citoyenneté a perdu son évidence face à résidence-citoyenneté avec la le droit de votre des citoyens de l'UE.
- Le droit de vote a un énorme défaut, une énorme qualité : c'est une des rares revendications offensives dans un période difficile.
Bonus !
A côté du droit de vote, de mesures positives, simples, qui ne nécessitent pas la réforme de la Constitution pourraient être prises pour favoriser la citoyenneté
- Inscrire d'office sur les listes électorales les nouveaux Français au moment de leur naturalisation. Désormais, les jeunes qui arrivent à la majorité sont inscrits d'office sur les listes électorales avec quelques difficultés. Ils n'habitent pas obligatoirement dans la commune où ils sont nés. A terme, tous les Français de naissance seront inscrits sur les listes électorales. Seuls ne le seront pas les Français par acquisition. Il ne serait pas difficile de les inscrire lors de leur naturalisation. Les seuls qui sont français par choix doivent demander aussi la citoyenneté !
- Rendre obligatoire, au niveau municipal, sous quelque forme que ce soit, la consultation des résidents qui n'ont pas le droit de vote
- Permettre la consultation des habitants « sur les décisions que les autorités municipales sont appelées à prendre pour régler les affaires de la compétence de la commune », actuellement réservé aux seuls électeurs. Ce qui veut dire remettre en cause la loi votée par la gauche, relative à l’organisation territoriale de la République (4).
La situation est difficile, elle a toujours été difficile. Les bases de départ sont cependant bonnes même si certaines constatations sont inquiétantes. Le droit de vote aura d'autant plus de chance qu'il s’insérera dans la dynamique d'un projet politique de renouvellement d'une démocratie qui se cherche.
1 – Reprise d'un article demandé et à paraître dans La Lettre de la citoyenneté.
2 - Décision duConseil constitutionnel : le PE “ ne constitue pas une assemblée souveraine dotée d’une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l’exercice de la souveraineté nationale ; que le PE appartient à un ordre juridique propre qui, bien que se trouvant intégréau système juridique des différents États-membres des communautés, n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française” (Décisionn°92-308 du 6 avril 1992).
3 - LeLab 06/02/12
4 - Loi d’orientation 92-125 du 06/02/92
5 - Pour en savoir plus : " Résidents étrangers, Citoyens ! Plaidoyer pour une cityenneté européenne de résidence ".