Emmanuel Macron, après le brillant succès de la contre-réforme des retraites et quelques va-et-vient, propose une nouvelle loi sur l’immigration. Avec plusieurs thèmes (version du 2 février 2023) : travail facilité pour certains métiers, intégration et titres de séjour, possibilités d’éloignement renforcées, asile et contentieux des étrangers.
De 1986 (loi Pasqua) à 2018 (loi Collomb), Arte Info dénombre 21 lois en 32 ans, soit une loi nouvelle tous les 18 mois ! Sans compter décrets et circulaires ! Que le gouvernement soit de gauche, 9 lois pour 5 gouvernements, ou de droite, 12 lois pour 7 gouvernements. Balladur, d’origine immigrée, a été le plus productif avec 4 lois !
Ces différentes lois répondent plus souvent à des préoccupations politiciennes qu’aux besoins de la société et à l’attente de la population française ou immigrée. En tous cas, aucune ne semble avoir trouvé la bonne réponse bien que la plupart aillent dans le même sens. C’est dire que la question va agiter à nouveau le monde politique, avec de nombreuses surenchères verbales, sans qu’un espoir raisonnable soit permis de voir adoptée autre chose qu’un texte politique à obsolescence programmée de 18 mois...
Madame Soleil annonce des réformes inéluctables dans les 5 prochaines années alors que 7 élections sont prévues sénatoriales en septembre 2023, européennes en 2024, municipales en 2026, présidentielle et législatives en 2027, départementales et régionales en 2028.
Cette loi, COMME LES PRÉCÉDENTES, sera « généreuse, humaine mais efficace et ferme » ! En pratique, COMME LES PRÉCÉDENTES, elle contribuera à la précarisation des immigrés. Faute de majorité automatique, le gouvernement sera obligé de passer par le 49.3 – ce qui ne doit pas l’enchanter après l’utilisation contestée qui en a été faite pour la contre-réformes des retraites - ou par un compromis avec la droite extrême et l’extrême droite pour obtenir une majorité.
Les questions essentielles, pour Emmanuel Macron, sont la politique étrangère et la défense, domaines réservés par la Constitution de 1958 et la pratique institutionnelle au président de la République. Et l’économie qu’il veut remettre dans le droit chemin. D’où, à ses yeux, les nécessaires contre-réforme des retraites, diminution des impôts…
L’immigration en soi n’est pas une priorité. Mais l'intéresse particulièrement dans son projet économique et social : avoir assez rapidement une main d’œuvre prête à l‘emploi et bon marché. D’où la proposition de recourir à une immigration choisie et à la régularisation de sans papiers pour ceux qui exercent ou pourraient exercer des « métiers en tension ». Parmi les professions « en tension », celle de médecin a été un moment envisagée. Mal accueillie pour l’Hexagone, cette introduction temporaire a déjà été organisée avec Cuba pour certains départements d’outre-mer.
La France n’est pas le seul pays européen que la démographie pousse à revoir sa politique d’immigration. Angela Merkel, répondant aux besoins nationaux de l’Allemagne, a fait cavalier seul au niveau européen, il y a déjà 8 ans, en 2015, et accueilli 1,5 millions de réfugiés… Mais Angela Merkel avait un portefeuille bien garni pour faire face financièrement, une solide autorité personnelle, une majorité politique au Parlement et dans la population, des convictions morales et une droite extrême plus discrète. Toutes choses dont ne bénéficie guère aujourd’hui Emmanuel Macron.
Cette ouverture à l’immigration légale externe ou sur place, pour les métiers en tension aurait un autre avantage pour Macron. Diminuer la force de la revendication sur le pouvoir d’achat par l’importation d’une main d’œuvre peu revendicative, pour un temps au moins, au moment ou l’augmentation du pouvoir d’achat est, de loin, la première préoccupation de la population face à la poussée inflationniste devant le système de santé et l’environnement.
Mais régulariser quelques milliers de travailleurs sans papiers ou permettre une entrée légale limitée de professionnels nécessaires à l’économie française, même avec l’assentiment tacite du patronat petit ou grand, est un chiffon rouge pour la droite et l’extrême droite. Dont les élus ne peuvent pourtant ignorer qui les sert dans les restaurants autour de l’Assemblée nationale ou même à la « cantine » du Sénat. À défaut, un article récent du Monde Magazine (1) pourrait leur ouvrir les yeux.
Malheureusement, c’est l’extrême droite qui, sur l’immigration, domine les prises de position des politiques ! Politiques qui sont en décalage avec la population telle qu’elle apparaît dans les réponses aux questions des sondeurs et dans la pratique. Malgré les discours répétés en continu depuis des années sur et contre l’immigration et les immigrés. Notamment lors de la préparation et de l’adoption... des lois sur l’immigration.
Dans les sondages de La lettre de la citoyenneté, réalisés presque tous les ans, les personnes interrogées se déclarent majoritairement pour le droit de vote des résidents étrangers depuis 2006 !
Lors du dernier sondage de février 2023, 68 % des personnes interrogées se disent « personnellement favorables » au « droit de vote à toutes les élections locales, c’est à dire municipales, départementales et régionales ». En regardant les réponses suivant les préférences politiques, les personnes proches des organisations de gauche sont les plus favorables. Mais aussi de60 % des « sans préférence partisane ». Les seuls qui y sont majoritairement opposés sont les sondés proches de LR ou du FN, encore que 48 % des proches de LR et 33 % des RN y soient favorables. Les élus de ces partis sont loin d’être représentatifs de leurs électeurs !
Les électeurs de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour, eux-mêmes, n’apparaissent pas comme des acharnés de la préférence nationale. Ils approuvent les sanctions contre les employeurs coupables de discriminations (68% des électeurs de Marine Le Pen et 59% de ceux d’Éric Zemmour)
Cette ouverture de la population se retrouve contre les discriminations (Baromètre de La maison des Potes). Les sondés se prononcent nettement pour renforcer les sanctions contre les employeurs coupables de discrimination à l’égard de l’origine, de la nationalité, de la couleur de peau ou de la religion, pour garantir la même rémunération et la même retraite à toutes les personnes exerçant le même travail quelle que soit leur nationalité (8 Français sur 10). Plus des trois-quarts sont favorables à l’anonymat des candidatures examinées par les employeurs… à autoriser les étrangers non-communautaires à devenir titulaires de la fonction publique, à la régularisation des travailleurs étrangers sans papiers disposant d’un contrat de travail... pour l’extension du droit de vote aux élections municipales et européennes aux étrangers non-communautaires (56%)… et sont pour une même rémunération, à travail égal, pour nationaux et étrangers (72% et 71%)...
Le baromètre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme résume la situation : de 1990 à 2022, date du dernier sondage en face à face, l’acceptation des minorités a globalement progressé en France, avec des moments de baisse, liés à des événements particuliers (attentats, période d’insécurité économique) et à leur cadrage politique et médiatique. Depuis 2015, le niveau de tolérance semble poursuivre sa progression. Ce n’est apparemment pas le cas chez les politiques.
En dépit de la montée du populisme en Europe, il en est de même pour les Européens, selon un sondage réalisé dans 6 pays. Ils soutiennent majoritairement une meilleure intégration des résidents étrangers. Ils se prononcent pour un renforcement des sanctions contre les employeurs coupables de discriminations, pour l’égalité salariale aussi bien en Allemagne et en Italie, pays qui ont accueilli de nombreux migrants.
Les déclarations sondagières sont confortées par les nombreuses actions de personnes qui montrent l’ouverture de la population au contact et à la solidarité au quotidien, individuellement ou à travers des associations, dont on ne parle pas, depuis des années, et viennent en aide aux immigrés avec ou sans papiers sur les points juridiques, sociaux, (accueil, logement, aide alimentaire), y compris pendant la période de confinement. Aident ou accueillent, poursuivent leurs activités sans faire la une des journaux ou des télévisions sauf quand quelques ultras les font connaître par des menaces, des attentats contre les lieux ou les personnes contrairement aux déclarations benoîtes d’Éric Zemour qui, après avoir allumé la mèche, parle de dialogue. Sans oublier les municipalités. Ou des employeurs qui aident des travailleurs à obtenir leur régularisation, en accord ou en opposition aux gouvernements.
Pour l’accueil de nouveaux immigrés, réfugiés ou non, la réponse des sondés varient non seulement suivant les tendances politiques mais aussi suivant la place qu’ils s’attribuent dans l’échelle sociale. Les plus défavorisés y sont moins favorables que les favorisés. Cependant, l’origine sociale des électeurs du Front national et de LFI sont proches. Mais les responsabilités sont situés de façon différente. Pour les électeurs de gauche, ce sont le patronat et le gouvernemeét, causes à la fois de l’immigration et de la situation sociale des Français et des immigrés : organisation internationale du travail, pillage des pays sous-développés, exploitation des travailleurs là-bas et ici, conditions sociales, pouvoir d’achat, qualités du logement, destruction de la force des structures publiques sociales, sanitaires, administratives… Des électeurs des milieux défavorisés votent pour la droite ou l’extrême droite qui soutient la politique d’exploitation là-bas et ici, et se décharge de sa responsabilité en désignant un faux-coupable pour maintenir et faire prospérer le système en place.
Toute perpétuation de la politique contre l’immigration légale ou clandestine est vouée à l’échec. Les fragiles barrières mises en place pour bloquer quelques dizaines de femmes et d’hommes fuyant la misère, les dictatures et, de plus en plus, le changement climatique ont été inefficaces dans le passé. Elles seront encore plus inefficaces avec l’afflux croissant. Une chose est certaine : les murs que construisent les États-Unis et l’Europe n’empêcheront rien tant que les raisons de partir, quelles qu’elles soient, ne seront pas traitées efficacement. Pour cela, un changement global est nécessaire.
Les gouvernements, s’ils veulent arrêter ces mouvements de population doivent installer une véritable « impôt à la source ». C’est à dire arrêter la destruction, par la politique et l’économie, la possibilité d’une vie décente dans le monde. Ce qui suppose une bouleversement total du système économique. Que les forces dominantes n’accepteront que le couteau sous la gorge : soit par un bouleversement total d’origine sociale, soit par des conséquences climatiques qui mettront en danger le mode d’exploitation de la planète maintenant généralisé.
Hier, la menace de l’Union soviétique a contraint l’Occident à accepter une politique social-démocrate associée à un développement scientifico-économique qui permettait d’espérer un avenir gagnant-gagnant à l’échelle sociale et gagnant tout court avec l’adoption de la même politique de développement à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, la menace soviétique a disparu. Elle est remplacé par les incendies en Amérique du nord ! Et ailleurs. La menace climatique. Sera-t-elle jugulée par un même projet d’un développement mondial basé sur les mêmes principes ? Rien n’est moins sûr. Quand on voit à quel point le monde continue dans les vieux conflits inter-nationaux au détriment social-démocratedes batailles fondamentales : protéger, partager.
L’immigration n’est qu’un thermomètre... malheureux…
1 - Travailleurs sans papiers à l’ombre des politiques. PENDANT DES ANNÉES, ILS ONT ACCOMPLI LEUR TÂCHE DANS L’ILLÉGALITÉ, GRÂCE À DE FAUX DOCUMENTS OU À DES IDENTITÉS PRÊTÉES. LE PARADOXE, C’EST QU’ILS ŒUVRAIENT AU PLUS PROCHE DU POUVOIR, DANS LES CUISINES DES TABLES PARISIENNES FRÉQUENTÉES PAR DES PARLEMENTAIRES PARFOIS PROMPTS À FUSTIGER LES IMMIGRÉS. AVEC L’AIDE DE LEURS EMPLOYEURS, Camara SILLY, amadou Diallo, Ablaye Kane ET D’AUTRES COLLÈGUES SONT PARVENUS À RÉGULARISER LEUR SITUATION. AU MOMENT OÙ LE GOUVERNEMENT PRÉPARE UN NOUVEAU PROJET DE LOI SUR L’IMMIGRATION, ILS TÉMOIGNENT DE LEURS TRAJECTOIRES PRÉCAIRES. Le Monde Magazine 07 juin 2023