Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 janvier 2024 7 28 /01 /janvier /2024 17:39
France, Pays des Droits de l’Homme… ?

Le 5 mai 1789, Louis XVI, en proie à des difficultés financières et des contestations, convoque les États généraux. Lors de leur réunion (17 juin), les députés du tiers état, représentant « les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation » se proclament Assemblée nationale. Ils décident d’adopter une constitution pour limiter le pouvoir royal et attribuer la souveraineté à la nation et à ses représentants librement élus.
Et d’élaborer une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC).

Après la chute de la Bastille, inquiète de l’agitation dans les campagnes, dans la nuit du 4 août et une généreuse ivresse, l’assemblée vote l’abolition des privilèges. Avec la gueule de bois des jours suivants, certains se demandent s’ils ne sont pas allés trop loin.
Louis XVI, doublement perspicace, écrit à l’archevêque d’Arles : « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient… Si la force m’obligeait à sanctionner, alors je céderais, mais alors il n’y aurait plus en France ni monarchie ni monarque. »
Il y consent le 5 octobre 1789. Les privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes, des provinces sont abolis...
La Royauté aussi le 21 septembre 1792 et le roi guillotiné le 21 janvier 1793.

La DDHC, 26 août 1789, acceptée par Louis XVI, commence sa glorieuse carrière. En France, elle devient le préambule des constitutions de 1789, 1791, 1946, 1958.
En 1971, le Conseil constitutionnel lui reconnaît valeur constitutionnelle.

La France est souvent appelée le pays des droits de l’homme. Elle est, plus modestement malgré la décision du Conseil constitutionnel, le pays où a été proclamée la DDHC au cours d’une révolution qui a supprimé le roi et la royauté de droit divin.
Mais il y a loin du pays de la Déclaration au pays des Droits...

La DDHC ne surgit pas par génération spontanée. Sans remonter à la Magna Carta (1215) ou à l’Habeas corpus (1679), britanniques, elle est le fruit des philosophies des Lumières, en Europe, et de mouvements populaires en France. Elle arrive après la Déclaration des droits des États de Virginie (1776), du Massachusetts (1780), la Révolution américaine (1776), la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique (1783) et la Révolution hollandaise (1781-1787).
Dans des conditions et avec des conclusions particulières.

Facteur commun aux événements d’Amérique et de France : la contestation des impôts prélevés par les monarchies britannique et française fortement endettées, contestation qui va avoir d’importantes conséquences, différentes : d’un côté, création d’une république fédérale, État décentralisé et liberté religieuse dans un milieu protestant ; de l’autre, chute de la royauté mais continuation d’un État centralisé quel que soit le régime, royauté, empire ou république, et laïcité face à l’hégémonie catholique. En France et aux États-Unis, avec une certaine prétention universaliste.
Universalisme justifiant l’ingérence extérieure sans pleine application à domicile.

Malgré cette prétention, pour tous les pays, pour tous les peuples, la DDHC est marquée par les conditions de sa rédaction, époque et auteurs.
Dans l’article premier, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», les hommes pourrait signifier tous les hommes, femmes, blancs, noirs… mais le temps qu’il a fallu pour que le législateur leur reconnaisse la citoyenneté montre qu’il n’en est rien.
La déclaration a été rédigée par et pour des personnes qui, malgré la nuit du 4 août, jouissent des privilèges - comme on dit aujourd’hui - masculin, français, blanc (1), possédant... En effet, dans l’article 2 la propriété est un droit naturel et imprescriptible !
Les élus légifèrent pour eux-mêmes et leurs semblables, sauf s’ils sont poussés ou contraints à des concessions par des événements culturels, sociaux ou politiques.
Il n’y a pas de peuple élu mais des peuples divisés par des intérêts différents !

Le texte est le fruit de compromis. Il n’atteint pas l’universel. Il n’en est pas moins précieux : ouverture, point d’appui pour un monde plus juste à construire.
Dans le récit national, la DDHC n’est qu’une vitrine publicitaire, pour séduire, à garder sous cloche à la Bibliothèque nationale.
C’est aussi le premier pas d’un récit d’émancipation, un chemin, un but, un levier…
Non pour annexer des territoires mais conquérir de nouveaux droits pour tous.

France, Pays des Droits de l’Homme… ?

Suppression de l’esclavage, suffrage universel, droits des femmes... L’esclavage est interdit depuis Bathilde, reine des Francs, ancienne esclave, au VIIème siècle, même si… ( voir note ici ou ). Interdiction confirmée en 1315 par Louis X : « selon le droit de nature, chacun doit naître franc », « par tout notre royaume les serviteurs seront amenés à franchise ». En 1571, par le Parlement de Bordeaux qui exige la libération des esclaves noirs amenés pour être vendus : « la France mère de liberté ne permet aucuns esclaves ». Et la Constituante avec la loi du 28 septembre 1791 : « Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France ».

La traite persiste et l’esclavage dans les colonies, forte source d’enrichissement, défendue par le club de l'Hôtel de Massiac, société de riches colons de Saint-Domingue et des Petites Antilles, qui obtient son maintien après l’adoption des DDHC. Malgré les luttes individuelles ou collectives des esclaves (marronnage, révoltes périodiques)... et des abolitionnistes avant, pendant et après 1789.
Comme la Société des amis des Noirs et Condorcet qui, avant 1789, défend les droits de l'homme, des minorités, des femmes, des juifs, des noirs. Comme Olympe de Gouges qui, vers 1782, écrit sa première pièce créée, seulement en décembre 1789, à la Comédie-Française, L'esclavage des Nègres. Rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et conteste la constitution en 1791 du fait du scrutin censitaire et masculin qui, à ces deux titres, l'exclut du droit de vote.
L’esclavage est finalement supprimé dans les colonies en 1794.

Rétabli en 1802 par Bonaparte. Sauf à Saint-Domingue, malgré l'expédition – décembre 1801 à novembre 1803 - qu’il y envoie et se termine par l'indépendance d'Haïti, deuxième État indépendant et premier sans esclavage aux Amériques.
Le bilan est lourd : 100 000 Noirs sur une population de 500 000, et 24 000 Blancs sur 40 000, sont morts au terme du conflit. Et la population blanche émigre massivement en Amérique.
Au retour de l'île d'Elbe en 1815, Napoléon aligne la France sur la décision du congrès de Vienne, abolit la traite, non l’esclavage.

En 1825, par blocus, la France obtient un dédommagement pour les anciens maîtres esclavagistes et leurs héritiers contre la reconnaissance de l'indépendance de Haïti, encore française selon le Traité de Paris de 1815 : 150 millions de francs or, ramenés à 90 millions en 1838. Dédommagement soldé en 1883 mais Haïti doit rembourser emprunts et intérêts auprès des banques françaises et américaines jusqu'en 1952.
Continuité de l’État des droits de l’homme, Royauté, Empire, République !!

Il faut encore des luttes, la Révolution de 1848 et la Deuxième république pour que le suffrage universel masculin (2) soit établi, le 5 mars et l’esclavage aboli dans les colonies françaises, le 27 avril. Les femmes n’obtiennent le droit de vote qu’à la Libération en 1944 malgré leurs luttes persévérantes et 6 projets de lois adoptés par l’Assemblée nationale et bloqués par le Sénat.

Le premier empire colonial, constitué à partir du XVIe siècle, vient de s’effondrer et la France commence à en constituer un second. Commencé sous Charles X, avec le début de la conquête de l’Algérie, en 1830, continué sous Napoléon III, il atteint son apogée sous la Troisième république - le plus vaste après l’empire colonial britannique - entraîne la chute de la Quatrième et disparaît sous la Cinquième, en 1962, avec l’indépendance de l’Algérie. Il n’en reste que quelques territoires, DOM et TOM.
La Troisième république justifiait sa politique coloniale de conquête par le devoir de mission civilisatrice de la France - apporter les droits de l’homme ? - des pays annexés militairement ! Et contre, quelquefois, des révoltes au nom de ces mêmes droits non appliqués !

Il est difficile de faire un bilan chiffré des pertes humaines : conquêtes, résistances, révoltes, répressions... Pour la seule guerre d’Algérie : des centaines de milliers de morts et le « rapatriement » de la totalité de la population « européenne » en 1962.

Avec un respect tout relatif de la DDHC, quel que soit le régime ou le gouvernement en France !

L’ambiguïté française est parfaitement illustrée par la date du 8 mai 1945. Pendant qu’en France, le peuple français fête la fin de la Seconde guerre mondiale et la capitulation du nazisme, en Algérie, l’armée française réprime, de façon sanglante, le peuple manifestant pour l’indépendance avec des milliers de morts à Sétif, Guelma, Kherrata.

Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République a déclaré : « La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes... La France a installé les droits de l'homme en Algérie. Simplement, elle a oublié de les lire ».

Devenu président, Emmanuel Macron fait entrer au Panthéon, dans quelques jours, les époux Manouchian. Des immigrés qui ont participé à la résistance contre l’occupant nazi en France ? Hommage mérité.
Pendant la guerre d’Algérie, environ 12 000 soldats français ont désobéi, insoumis, déserteurs, environ 1 % des soldats. Tandis que d’autres y ont laissé leur vie, ont subi, vu, quelquefois participé, à des actes de barbarie.
Qui réhabilitera, rendra hommage à tous ceux, trop souvent, accusés d’être l‘antifrance qui se sont opposés, qui ont refusé de participer à la colonisation, au crime contre l’humanité, à la barbarie…

France, Pays des Droits de l’Homme… ?

Les pays européens ont-ils été plus ou moins rapides à instituer le suffrage universel ? À faire leur place aux femmes ? Quels droits, quel statut reconnaissent-ils aux résidents étrangers ? Parallèlement, plusieurs pays européens ont constitué des empires coloniaux. Ont-ils été plus ou moins respectueux des droits des peuples colonisés ?

Le pays de la DDHC n’est pas le pays des Droits de l’homme. Mais il y a une place pour rendre hommage à tous ceux qui, chacun à sa façon, se sont battus pour les qu’elle le devienne.

 

(1) À l’Assemblée Nationale,le 8 mars 1790 Barnave, porte-parole des colons de Saint-Domingue, fait admettre le maintien de l'esclavage dans les colonies. Les assemblées coloniales maintenues peuvent énoncer leur vœu sur les modifications au régime des colonies. Condorcet écrit dans ses notes : « Ajoutons un mot à l'article premier de la Déclaration des droits : Tous les hommes " blancs" naissent libres et égaux en droits » ! « Donner une méthode pour déterminer le degré de blancheur ».

(2) Le suffrage universel masculin a été appliqué en 1792 pour l’élection à la Convention nationale (1792-1795) avec une faible participation. Les élections suivantes ont toujours eu lieu au scrutin censitaire.

France, Pays des Droits de l’Homme… ?
Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Paul ORIOL
  • : Réflexions sur l'actualité politique et souvenirs anecdotiques.
  • Contact

Texte Libre

Recherche