Athènes est considérée comme le berceau de la démocratie moderne. Une démocratie imparfaite dans une société imparfaite. Les démocraties modernes en sont des versions améliorées mais toujours imparfaites. Ces imperfections correspondent à l’état des sociétés et conditionnent leur survie : elles permettent l’exercice du pouvoir par les dominants dans des conditions acceptées par les dominés.
Quand la violence de ces situations devient insupportable, elle peut entraîner des révoltes, plus ou moins violentes, quelques fois étendues. Les dominants acceptent alors des compromis s’ils ne leur enlèvent pas l’essentiel du pouvoir ou les répriment sans ménagement quand ils se sentent menacés.
Ainsi les sociétés évoluent à travers situations de violence et actes de violence, répressions, compromis. Les révoltes ébranlent quelquefois, renversent rarement la domination qui se perpétue ou se renouvelle après quelque temps.
Abraham Lincoln, discours de Gettysburg, est souvent cité pour définir la démocratie : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Véritable tour de passe-passe repris par les constitutions de la Quatrième République (1946) et de la Cinquième (1958).
Illusionnisme verbal où le mot peuple, répété, n’a jamais le même contenu !
Gouvernement du peuple : de tout le peuple, nationaux, étrangers, hommes, femmes, adultes, enfants ;
Gouvernement par le peuple : quelques personnes gouvernent, quel que soit leur mode de sélection ;
Gouvernement pour le peuple : supposément pour tous mais le plus souvent pour les uns ou les autres en fonction des rapports de forces.
À Athènes, femmes (esclaves ou non), esclaves, métèques et étrangers étaient exclus des décisions. Cette exclusion était justifiée : déchargés des tâches subalternes, les citoyens pouvaient consacrer leurs compétences à l’essentiel : gérer la cité.
Malgré la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789 proclamant l’égalité de tous, ce n’est qu’en 1848, après 60 années mouvementées, que le suffrage universel masculin a été institué et l’esclavage supprimé dans les colonies françaises. Le suffrage universel a été renforcée par la scolarisation, l’extension du droit de vote aux femmes, près de cent ans plus tard puis aux 18-21 ans.
D’autres étapes demeurent pour qu’il soit réellement universel : extension aux étrangers, démocratisation de l’enseignement, indépendance des moyens d’information de plus en plus contrôlés par les puissances de l‘argent..
La France, Royauté, Empire ou République, a construit un empire colonial dans lequel les valeurs démocratiques pouvaient être, quelquefois, proclamées mais jamais appliquées. Les privilèges de la démocratie imparfaite étaient réservés aux citoyens de l’hexagone.
Pour les autres, la demande de liberté, d’égalité était fortement réprimée, aboutissant aux succès bien connus de Dien-Bien-Phu à l’Algérie.
Deux longues guerres qui ont conduit à l‘indépendance, contre la France, du Vietnam, du Laos, du Cambodge, de l’ Algérie, avec comme effets collatéraux, l’indépendance de tous les pays africains colonisés. La France ne pouvait faire la guerre à tous en même temps.
En février 2017, le futur président Macron reconnaît que la colonisation :
C'est un crime. C'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »
Malgré cette lucidité, le poids politique d’une droite obstinée dans les erreurs du passé et la fatuité du président Macron d’ordonner l’histoire, les choses en sont restées là.
Elles ont même régressé en Nouvelle Calédonie où Michel Rocard et Lionel Jospin avaient réussi à rétablir un dialogue et une perspective d’avenir réconcilié, fortement compromis aujourd’hui par la volonté de passage en force du président Macron…
Pour Nicolas Sarkozy, l’Afrique n’était pas entré dans l’histoire, la France sort de l’histoire et de la géographie, par la petite porte.
Cette association d’une démocratie relative à l’intérieur et sa négation dans la colonisation n’est, hélas, pas une particularité française.
Toute colonisation est contraire à la démocratie même très imparfaite.
Israël est, suivant les canons occidentaux classiques, un pays démocratique. C’est aussi un pays colonial. Différence importante avec les autres États coloniaux, c’est un État colonial sans métropole ou plus exactement avec une métropole diasporique et une métropole d’adoption, les États-Unis, soutien inconditionnel. Les États-Unis, qui, hier avec beaucoup d’autres, ont refusé d’accueillir les juifs persécutés, devenus des Israéliens occupants.
Israël est aussi le fruit du dysfonctionnement des démocraties, de la non application de nos valeurs qui ont favorisé le développement du sionisme..
Theodor Herzl, juif d’origine autrichienne, était assimilationniste et intégré à la société occidentale. Devant la situation faite aux juifs, des pogroms à l’affaire Dreyfus, il publie, en 1896, Der Judenstaat, l’État des juifs, qui ne rallie pas immédiatement les juifs bourgeois, occidentaux qui se croient intégrés, intouchables, indispensables aux sociétés occidentales, Autrichiens en Autriche, Français en France... Il est entendu par les juifs soumis aux multiples pogroms dans l’empire russe.
Fondateur en 1897 et président, jusqu’à sa mort en 1904, du Congrès sioniste, Herzl imagine un État où les juifs seraient en sécurité. Dans la foulée du projet colonial des puissances européennes, conférence de Berlin (1884-85), qui se partagent les territoires à coloniser en Afrique, il présente l'offre britannique, Projet Ouganda, au sixième Congrès sioniste en 1903… En 1905, le Congrès sioniste refuse cette offre du Royaume-Uni et s'engage pour un État national juif sur les anciens territoires des royaumes de Judas et d'Israël.
Le Royaume-Uni, généreux avec la terre des autres, se prononce en 1917, par la Déclaration Balfour, en faveur de l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif. Dans l’éventualité d’une installation au Proche-Orient, Theodor Herzl se situait bien dans la perspective coloniale occidentale : Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un morceau du rempart contre l’Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie.
L’association démocratie-oppression est constitutive de la création des États-Unis. Les États-Unis sont devenus la première puissance impériale en imposant des inégalités dans toute la diversité de son empire. Mais ils ont construit l’État démocratique, institué le 4 juillet 1776, sur l’extermination des peuples autochtones et l’esclavage des Noirs maintenu officiellement jusqu’en décembre 1865.
Cependant, cette pratique a perduré près d'un siècle, pour ne prendre fin que par l'adoption des XIIIe (1865) et XIVe (1868) amendements de la Constitution accordant la citoyenneté à toute personne née ou naturalisée aux États-Unis et du XVe (1870) garantissant le droit de vote à tous les citoyens.
Dans les États du sud, l’application des lois fédérales seront entravées jusqu’à l'adoption de différentes lois fédérales (1964, 1965, 1968) qui mettent fin, en principe, à toutes les formes de discrimination raciale dans l'ensemble des États-Unis...
Il ne faut pas oublier la phrase de Winston Churchill (1947), la démocratie est le pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire. Elle est encore d’actualité en 2024 !
La démocratie est toujours imparfaite, inachevée. Il est impossible d’être satisfait devant la restriction de libertés qui perdure et l’approfondissent des inégalités. Partout.
La démocratie est un long combat permanent sous peine de régression .