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2 avril 2024 2 02 /04 /avril /2024 07:45
De Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavage

L’esclavage dans les colonies a été aboli par la France pour la première fois en 1794, rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802 et supprimé à nouveau en 1848. Et, bien plus tôt, dans le royaume, par la reine Bathilde (630-680), épouse de Clovis II.
Suppression qui n’a pas toujours été respectée...

Bathilde, noble, encore enfant, est réduite en esclavage et achetée par le maire du palais de Clovis II qui en fait sa servante, à 12 ans, en espérant mieux. Le roi l’épouse, elle devient reine des Francs et, à la mort du roi, régente.
Elle interdit l’achat et la vente des esclaves, les rachète en nombre pour les libérer et
rend libres sur le sol des Francs ceux qui arrivent de l’étranger.

À l'époque de Charlemagne et durant la première partie du Moyen Âge, les Francs combattent les Saxons et les Slaves. Du slave à l’esclave. Les prisonniers alimentent le commerce vers Venise et les Arabes en passant par la Champagne où, systématiquement émasculés, un quart environ d'entre eux ne survivent pas.
La christianisation des Slaves met fin à cette traite.
Cependant, des esclaves sont employés dans les grandes propriétés agricoles, y compris dans les monastères. Et encore au XVe en Provence avec des Noirs achetés au Maroc.

Le 3 juillet 1315, édit de Louis: selon le droit de nature, chacun doit naître franc, nul n'est esclave en France, le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche.
En 1571, un navire normand accoste à Bordeaux pour y vendre sa cargaison d'esclaves. Le Parlement de Bordeaux les libère : « La France, mère de liberté, ne permet aucun esclave ».

En 1642, Louis XIII autorise la traite et l'esclavage aux Antilles. Alors que se développe le commerce triangulaire, Louis XIV, par le Code noir (1685), réglemente le traitement des esclaves aux colonies sans un mot pour le royaume. Or le rédacteur du Code, Colbert de Seignelay, ministre de la Marine, a des nègres domestiques, en habit à la cour et en particulier deux négresses d'une parfaite beauté, qui avaient de l'esprit et parlaient bien français. La reine Marie-Thérèse a reçu en cadeau du duc de Beaufort un petit Africain et Jeanne du Barry, le jeune Zamor offert par son amant Louis XV.

Louis XIV utilise, sur ses galères, des forçats, des protestants pour faits de religion et des esclaves d’origines diverses, appelés Turcs. Ces esclaves ont aussi été utilisés pour les spectacles de la cour, mascarades et tableaux vivants... Pour ramer dans une galère sur le Grand Canal et illustrer ses succès en Méditerranée, 54 esclaves sont amenés à Versailles.
Sur mer ou sur terre, royales, les esclaves sont loin de Bathilde et de 1315…

Des milliers de Noirs d'Afrique et des Îles d'Amérique en Angleterre et en France.
Des esclaves étaient vendus sur la place de Londres et à Paris, capitale de l'esclavage,  coloniaux et capitaines de navires vendaient des esclaves à des métropolitains, et ceux-ci profitaient du travail servile d'individus qu'ils n'avaient pas le droit d'acquérir.

Deux tableaux, au musée de Nantes, illustrent le service domestique d’esclaves noirs.
Sur le premier, un notable de Nantes, sur l’autre, son épouse, tous deux en majesté. En retrait, leur serviteur debout, un homme noir pour lui, pour elle une femme noire. Du sucre, une tasse de café qui, avec le commerce triangulaire, ont assuré leur fortune.
Des commentaires et un faisceau lumineux attirent l’attention sur les détails vestimentaires de ces serviteurs qui signalent leur statut d’esclave.


 

De Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavageDe Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavage

Le Code noir s'applique dans les îles mais ne concerne pas le royaume où l'esclavage n'existe pas officiellement : mais « plusieurs habitans des Isles de l'Amérique » amènent des esclaves, pour leur service comme les bourgeois de Nantes ou pour leur faire apprendre quelque métier dont les colonies recevraient beaucoup d'utilité. D’où une nécessaire adaptation de la législation. Les Noirs venus dans le royaume ne pourraient prétendre avoir acquis la liberté si leurs maîtres avaient observé les formalités d'enregistrement. Le parlement de Paris a rejeté cette possibilité.
Acceptée par celui de Rennes, des cas ont été documentés à Nantes, 16 par an de 1720 à 1740, une douzaine par an à Bordeaux.AncreAncre

Le problème se retrouve en Angleterre des Cours ont proclamé : Dès qu'un nègre entre en Angleterre, il devient libre, contredit en 1749 par l’affirmation qu'un esclave n'a pas plus de raison d'être libre en Angleterre qu'à la Jamaïque jusqu’à ce que, en 1762, l'Habeas corpus soit reconnu pour les Noirs.

Différences essentielles entre traites.

L’ Afrique noire a subi, simultanément, l’esclavagisme intra-africain, arabo-musulman et atlantique. Qui donnent lieu à des querelles comptables.

Lors d’un colloque de l’UNESCO en 1978, le nombre d’esclaves arrachés à l'Afrique a été estimé à 15,4 millions par la traite atlantique, 14 millions par la traite orientale, Océan indien, transsaharienne et mer Rouge. Certains avancent des quantités différentes : traite orientale, 17 millions de déportés, esclavage intra-africaine, 14 millions. Traite orientale et intra-africaine ont eu leur apogée au XIXe, la traite atlantique au XVIIIe.
En 1997, Hugh Thomas estime que, sur 13 000 000 d'esclaves arrachés à l'Afrique par la traite atlantique, 11 328 000 sont arrivés à destination en 54 200 traversées !

Quoi qu’il en soit, en plus des drames humains, les ponctions par caravanes ou navires ont stimulé les guerres intestines pour l’acquisition de captifs et constituent une saignée démographique importante pour l’Afrique.

L’esclavage en Afrique noire existait traditionnellement avant les traites arabes ou européennes. Dans certaines régions, le quart des hommes étaient esclaves, pour dettes, suite à des guerres locales ou en tant que descendants d'esclaves.
Ils étaient surtout utilisés comme domestiques et leur nombre était une source de prestige pour le maître.

La traite orientale répond à des besoins domestiques et des services (tâches d'entretien, d’infrastructures, employés de maison, harem, concubines, prostitution, eunuques). Elle s'étend sur 13 siècles. De Zanzibar, des esclaves ont été envoyés dans le Golfe comme main d’œuvre pour la culture du clou de girofle.

La traite atlantique dure 3 siècles, 90 % pendant la période 1740-1850. Elle fournit une main d’œuvre bon marché pour les les grandes plantations aux Amériques même si la traite a commencé avant l’arrivée de Christophe Colomb à Hispaniola (1492).
Les Portugais ont déporté 150 000 esclaves vers Lisbonne et ouvert le premier marché aux esclaves africains à Lagos, en 1444.

Pays et ports négriers

Les Européens ne pénètrent pas dans le continent pour se procurer des esclaves, ils attendent leur livraison, soit dans des fortins côtiers, soit même sur les navires. Ils repartent quand un nombre suffisant de captifs a été acquis.

Une vidéo sur la traite atlantique présentée au musée de Nantes et, actuellement au musée de l’histoire de l’immigration de la Porte dorée à Paris, permet de suivre le trajet des navires ayant participé à la traite par année, nationalité, point de départ et d’arrivée aux Caraïbes, en Amérique latine, aux États-Unis, quelques uns en Europe.

Le Portugal, première puissance pour le nombre de déportés, 5 millions entre XVIe et XIXe, 46% du total des déportations, pratique peu le commerce triangulaire. Ses navires relient directement les 2 rives de l’Atlantique, des côtes du Cap-Vert, de Guinée, de l’Angola (et Mozambique) vers le Brésil, sans passer par l’Europe.
C'est pourquoi, il n'a pas de grand port négrier, Lisbonne ne compte que 92 expéditions.

Le Royaume-Uni, deuxième pays européen, 3 millions de déportés : Liverpool, premier port négrier européen (4 894 expéditions), Londres (2 704), Bristol (2 064).
Le Royaume-Uni joue un grand rôle dans l’esclavage, la traite et leur abolition.

La France, troisième, 1,5 million de déportés, 3317 expéditions, 17 ports négriers d’importance diverse : Nantes, La Rochelle, Le Havre, Bordeaux, Saint-Malo, Lorient, Honfleur, Marseille, Dunkerque, Rochefort, Vannes, Bayonne, Cherbourg, Rouen, Brest, Saint-Brieuc, Marans.
Nantes
est le plus important : 1 744 expéditions, plus de 500 000 déportés, puis Bordeaux, La Rochelle, Le Havre. Saint-Domingue est la principale destination.

Nantes, apogée du commerce négrier au XVIIIe

Dans le commerce triangulaire, les navires partent d’Europe avec des marchandises diverses troquées en Afrique contre des captifs emmenés aux Amériques. D’où sont amenées les produits des îles : le sucre constitue 60,8 % en valeur des marchandises arrivées à Nantes en 1786.
E
n plus de ses bénéfices propres, le commerce triangulaire suscite un trafic direct, les navires négriers ne suffisant pas pour ramener les produits des îles. D’autres navires sont nécessaires.

La population de Nantes augmente, son commerce maritime s’accroît vers l'intérieur du royaume et surtout vers les ports étrangers : de 1702 à 1772, le tonnage vers les ports français est multiplié par 1,9 et vers les ports étrangers par 3,6.
Les grandes familles s’enrichissent, investissent dans les terres agricoles, l'immobilier et, au côté d'une industrie traditionnelle, dans l'industrie naissante, notamment la construction navale : la superficie des chantiers est multipliée par 15,5 du début du siècle à 1780. Ils deviennent les premiers constructeurs français de navires marchands.
Le palais de l'Élysée a été construit en 1720, grâce à la fortune d’Antoine Crozat à la direction d’une des plus importantes sociétés du commerce triangulaire entre Nantes et Saint-Domingue, la Compagnie de Guinée créée par Louis XIV qui en était actionnaire,.

Prenant acte de l’histoire, Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, est à l’origine du Mémorial de l'abolition de l'esclavage, consacré à la traite et à l'esclavage, inauguré en 2012 en présence de l'ancien président du Bénin, Nicéphore Soglo, de Christiane Taubira, de Lilian Thuram…


 

Nantes : Les Anneaux de Buren
Nantes : Les Anneaux de Buren

Nantes : Les Anneaux de Buren

Traite, esclavage, résistance

La colonisation a causé une chute si importante des populations amérindiennes que sa qualification d’ethnocide ou de génocide est discutée.

 Destination des esclaves dans les différentes colonies françaises (Tableau I)

Territoire

Nombre d’esclaves

Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti)

864 000

Martinique

366 000

Guadeloupe

291 000

Île Bourbon (Réunion)

130 000

Île-de-France (Île Maurice)

80 000

Guyane

51 000

Louisiane

10 000

Saint-Vincent, Sainte-Lucie, Tobago, Dominique, Grenade

137 000

Total

1 929 000


Des esclaves venus d’Afrique.
Des révoltes ont éclaté lors du transfert des captifs vers les Amériques. Dans les archives nantaises, 33 révoltes sont répertoriées pour 475 expéditions, soit 6,9 %, entre 1713 et 1743. Plus souvent quand le navire est encore sur la côte africaine ou proche. Parfois lors d'une escale dans une île portugaise du golfe de Guinée.
La première colonie française aux Antilles est Saint-Christophe (1625) et Richelieu fonde la Compagnie de Saint Christophe et îles adjacentes. Viennent ensuite la Guadeloupe, la Martinique…

Le Code noir est promulgué pour combler un vide juridique sur l’esclavage aux îles colonisées alors qu’il n’existe pas dans le royaume. Il est appliqué aux Antilles en 1685, à Maurice en 1715, à La Réunion en 1723.
Le Code établit le statut des esclaves et témoigne de l’insécurité ressentie par les colons devant les différentes formes de résistance individuelle ou collective, marronnage, révolte, et formalise la répression pour dissuader et punir. Plus fréquent que les révoltes, le marronnage, s’enfuir des plantations, est surtout individuel, de brève durée, non-violent. Mais des groupes de marrons peuvent se former avec attaques de plantations et affrontements.
Le Code interdit le port d'arme sauf à la chasse si le maître le permet (art.15), peuvent être soumis à des châtiments corporels et marqués d'une fleur de lys pour une fuite pendant un mois (marron), jarret coupé en cas de récidive (marquage au fer et mutilation existaient en métropole), condamnation à mort à la troisième tentative (article 38) ou pour avoir frappé son maître, sa femme ou ses enfants (article 33), vol de cheval ou de vache article 35 (vol domestique puni de mort en France), pour réunion en cas de fréquentes récidives (art 16).

La première révolte dans une colonie française éclate sur l’île de Saint-Christophe. En 1639, 60 esclaves gagnent les montagnes et attaquent les colons avant d’être réprimés. En 1656, à la Guadeloupe, 1678, à la Martinique, 1679 à Saint-Domingue.
Les révoltes sont plus fréquentes avec la culture de la canne à sucre.
Une quinzaine comptent au moins un millier de participants, surtout à Saint-Domingue. Jusqu’au grand soulèvement, unique par son ampleur, des dizaines de milliers d’esclaves, surtout par son dénouement, l’abolition locale de l’esclavage, avant la décision nationale.

Les Lumières et l’esclavage

La condamnation de l’esclavage par les philosophes des Lumières est un phénomène nouveau. Les penseurs de l’Antiquité ont justifié l’esclavage, droit naturel, et l’Ancien, le Nouveau Testament, les fondateurs du christianisme et les théologiens du XVIIIe siècle. Et bon nombre de francs-maçons, colons, armateurs, propriétaires d’esclaves.
Des papes s'y sont opposés de façon plu ou moins nette : 873, la lettre apostolique de Jean VIII exhorte les princes de Sardaigne d'affranchir les esclaves vendus par les Grecs ; 1435, la bulle pontificale d’Eugène IV condamne l'esclavage des Guanches aux Canaries ; 1462, la lettre de Pie II à l'évêque de Guinée portugaise qualifie l'esclavage des Noirs de grand crime.

Pour les Lumières, rien ne donne le droit de propriété d’un homme sur un autre : ni la conquête, ni la guerre, ni le vol, ni l’achat ne peuvent fonder un droit d’esclavage.
 
L’impératif économique, la force créent l’esclave, non le droit.

L’esclavage est condamné au nom du droit naturel comme dans l’Édit de 1315 : le principe de la liberté personnelle était fermement rappelé et fondé sur le droit naturel.
Les philosophes n’écrivent pas des lois. Ils ne sont pas là quand le servage, l’esclavage sont abolis dans le Royaume. Ils ne sont plus là quand la suppression de l’esclavage dans les colonies est proclamée. Mais leur influence n’en est pas moins fondamentale. Pour eux, tous les hommes ont une souche commune. Le développement des systèmes politiques, des sciences, des techniques sont dues aux circonstances, aux conditions...
Il s’agit d’un retard provisoire, non d’une différence de nature.
DEurope, d’Afrique, d’Asie, les peuples sont égaux en capacité. Tous sont perfectibles.
C
ette perfectibilité ouvre la voie à ceux qui veulent coloniser pour civiliser.
Le droit naturel, l’égalité sont à la base des arguments politiques contre l’esclavage.

La Société des Amis, quakers, est fondée en Angleterre en 1648. Les colons quakers mettent en question l'esclavage dans les années 1670. En 1761, à Londres, ils adoptent une résolution contre le commerce des esclaves. Mais la révolution américaine divise les quakers entre nouveau et ancien monde.

En 1787, est créée à Londres la Société pour l'abolition de la traite des esclaves et l’année suivante à Paris, la Société des Amis des Noirs. Elles défendent l'égalité des Blancs et des Noirs dans les colonies et préconisent souvent l’abolition immédiate de la traite pour tarir progressivement l'esclavage. Avec l'idée de préparer et éduquer les Noirs à la liberté et le souci de maintenir l'économie des colonies, sans insurrection, sans porter atteinte aux intérêts des planteurs, du commerce et des métropoles.

En Angleterre et Amérique anglaise, l’anti-esclavagisme se développe sur une fond religieux. En France, l’acceptation de l’esclavage par l’Église catholique fait de l’abolition une revendication profane. Les arguments des philosophes sont de caractère laïque, ancrés dans la raison et l’humanisme plus que dans la religion.

Population des colonies françaises (Tableau II)

Colonie

Année

Blancs

Noirs libres

Esclaves

Total

Saint-Domingue

1790

27 717

21 800

495 528

546 835

Guadeloupe

1788

13 969

3 125

89 823

108 705

Martinique

1789

10 635

5 235

81 130

98 789

Réunion

1788

8 182

1 029

37 984

48 983

Maurice

1788

4 457

2 456

37 915

46 616

Sainte-Lucie

1788

2 159

1 588

17 221

22 756

Tobago

1788

425

231

12 639

15 083

Guyane

1789

1 307

494

10 748

14 338

Ensemble

 

54 069

35 958

782 988

873 015

Proportion

 

6 %

4 %

90 %

100 %

Depuis le XVIIe, Saint-Domingue connaît une grande prospérité, grâce à la culture de la canne à sucre et du café à partir de 1760. Selon le recensement de 1687, il y avait 8 000 habitants dont 4 500 Blancs. Cent ans plus tard, la population totale est passée à 546 835 dont seulement 5 % de Blancs  !
En 1789, Saint-Domingue est la plus rentable des colonies : première pour la production mondiale de sucre et de café, la moitié de l'offre mondiale de café. Le commerce extérieur de l’île est plus du tiers de celui du Royaume avec le monopole commercial et interdiction de l’industrie locale, l'exclusif colonial. Et l’esclavage.


 

Cahier de  doléances de Champagney - Article 29
Cahier de  doléances de Champagney - Article 29

Cahier de doléances de Champagney - Article 29

Le temps des Révolutions

Les finances sont la préoccupation de Louis XVI quand il convoque les États généraux : Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons, relativement à l'état de nos finances...
Mais l’agitation règne dans les campagnes, dans les îles et... dans les esprits qui ont beaucoup évolué depuis les États-généraux précédents de 1614.
L’influence des Lumières joue sur la vision de l’organisation des pouvoirs et de l’esclavage qu’ont les délégués aux États généraux. En témoignent leurs décisions successives.
Parmi les 60 000 Cahiers de doléances, seule une centaine mentionne l'esclavage. Celui de Champagney, ville d'un millier d'habitants, demande sa suppression.

Mais c’est une révolte ? - Non, Sire, c’est une révolution ! La réponse du perspicace duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI, réveillé le 14 juillet après la prise de la Bastille, aurait pu être plus large et annoncer deux Révolutions ! Car, avec la même perspicacité, le duc de la Rochefoucauld a proposé, lors de la Nuit du 4-Août et de l’abolition des privilèges, l'abolition de l'esclavage des Nègres... le privilège blanc.
Sans être entendu !

Louis XVI, lui-même, n’est pas indifférent à la condition des esclaves selon l’intervention, en son nom, du ministre Necker, à l’ouverture des États-Généraux.
Un jour viendra peut-être, Messieurs, où vous étendrez plus loin votre intérêt... où, associant à vos délibérations les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la triste faculté de souffrir ; sur ces hommes cependant que, sans pitié pour leurs misérables plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d'un vaisseau pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les attendent.

La dynamique politique est allée plus vite et plus loin que ne le pensait Louis XVI : abolition de la royauté, du roi lui-meme  et, avec une aide forte des intéressés, abolition de l’esclavage.

Révoltes à Saint-Domingue

Dans les îles, les révoltes se succèdent en particulier à Saint-Domingue, dès les années 1770. Des groupes de marrons s’organisent dans la montagne et mènent des actions contre les Blancs.
La grande révolte de Saint-Domingue commence le 14 août 1791, entraîne le massacre de nombreux blancs et se maintient dans les campagnes malgré la répression. Toussaint Bréda, né esclave vers 1743, devenu libre en 1776, médecin des pantes, futur Toussaint Louverture, conseiller de Biassou, l’un des chefs des insurgés, organise un groupe armé bien discipliné.

Après l’abolition des privilèges du 4 août, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 est une autre occasion manquée. Le décret, adopté par l’Assemblée législative et promulgué par le roi le 4 avril 1792, ne reconnaît l’égalité des droits que pour les hommes libres de couleur, non pour tous.
À Saint-Domingue, la situation conduit Léger-Félicité Sonthonax, commissaire civil aux Îles pour y rétablir l'ordre & la tranquillité publique, à proclamer l'abolition dans le nord de l’île, le 29 août 1793, et son collègue Étienne Polverel dans le reste de l’île quelque temps après. Ils envoient trois députés à Paris dont le rapport enthousiasme la Convention qui adopte le décret du 16 Pluviôse An II, 4 février 1794, alors que le pays est en proie à une coalition européenne et aux soulèvements royalistes : La Convention déclare l'esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution.
Dans toutes les colonies, Saint-Domingue, Guadeloupe, Dominique, Guyane. Non à la Martinique aux mains des Anglais et aux Mascareignes les colons rejettent les envoyés de la Convention.
Le texte ne prévoit aucune indemnisation.

L’insurrection de Saint-Domingue a entraîné l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies et l’abandon du projet de disparition progressive de l’esclavage prévue par les abolitionnistes et la pédagogie de la liberté qui devait l‘accompagner.

En mai 1794, le ralliement de Toussaint Louverture avec ses hommes entraînés apporte un appui décisif aux républicains dans Nord de Saint-Domingue qui vaut à Louverture, en 1795, une première promotion comme général de brigade. D’autres suivront au cours de différents conflits jusqu’à sa nomination, comme général de division et capitaine-général de Saint-Domingue, le 13 ventôse an IX (4 mai 1801), par Bonaparte.
Mais les deux hommes entrent en conflit. Louverture installe une constitution autonomiste, se nomme gouverneur à vie de Saint-Domingue, qui reste terre française, en Juillet 1801.
De plus, il prend des initiatives avec l’Espagne ou l’Angleterre qui gènent la politique de Bonaparte.
Toussaint Louverture devient un homme dangereux.
 


 

De Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavageDe Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavage

Rétablissement de l’esclavage

L’abolition de l’esclavage dans les îles à sucre touche de gros intérêts : planteurs, armateurs, chantiers navals, fabricants de produits manufacturés pour la traite. D’où une forte pression sur Bonaparte et la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802 :
L’esclavage sera maintenu…  La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789…  dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens... Il en sera de même dans les autres colonies au-delà du cap de Bonne-Espérance.

Bonaparte envoie une expédition à la Guadeloupe qui rétablit l’esclavage le 17 juillet 1802.
Une autre à Saint-Domingue, aux ordres du général Leclerc, avec l’instruction de ménager Louverture, de lui offrir le rôle de lieutenant de la France, la confirmation des grades et des biens acquis par ses officiers, la liberté des Noirs sous l’autorité de la métropole.

Leclerc arrive en février 1802, avec des officiers issus des colonies (Rochambeau) et des officiers de couleur défaits par Toussaint Louverture (Rigaud, Pétion, Villatte). L'expédition obtient la capitulation en mai 1802 de Louverture et son arrestation le 7 juin 1802, en dépit des promesses.
Déporté en France au fort de Joux, il meurt le 7 avril 1803.

Le 14 juin 1802, des instructions secrètes sont envoyées au général Leclerc pour qu’il rétablisse l'esclavage et encourage la traite.
A
pprenant le rétablissement de l'esclavage à la Guadeloupe, Alexandre Pétion donne le signal de la révolte à laquelle se joignent d’autres généraux dont, en octobre 1802, Jean-Jacques Dessalines. Qui, le 28 mai 1803,  réalise à son profit l'unité au congrès de Arcahaie.
Le corps expéditionnaire est décimé par les combat
s et la fièvre jaune qui emporte le général Leclerc. Rochambeau qui le remplace est finalement battu par Dessalines le 19 novembre 1803.

Le 1er janvier 1804, l'indépendance de Saint-Domingue est proclamée sous le nom taïno,  Haïti, en l’honneur d’un peuple amérindien et Jean-Jacques Dessalines, Gouverneur-général à vie,

Première insurrection anticoloniale victorieuse quand l’époque est plutôt aux conquêtes coloniales !
Première république noire quand la traite et esclavage des noirs sont florissants !
Deuxième république des Amériques !
Mais République reconnue par aucun pays !

Première défaite militaire de l'Îlien Napoléon Bonaparte, aux Îles !

Les luttes pour l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue et l’indépendance de Haïti ont coûté très cher en souffrances et en vies humaines : 100 000 Noirs sur 500 000 et 24 000 Blancs sur 40 000 sont morts.
En 1790, Saint-Domingue compte prés de 550 000 âmes, 300 000 en 1804.

Malheureusement, ce n’est pas fini.

En février, craignant une nouvelle expédition militaire française et l’annihilation de la population noire, Jean-Jacques Dessalines ordonne le massacre de la population blanche restante à l'exception des prêtres, médecins, techniciens considérés comme utiles.
Il est couronné, le 8 octobre 1804 : Majesté Jacques Ier, Empereur. Et assassiné en 1806 à la suite d'une conspiration qui abolit l'empire.
En 1903, son nom est donné à l'hymne national haïtien : La Dessalinienne,

L’abolition dans les différente îles françaises a été obtenue essentiellement par les luttes à Saint-Domingue et la Révolution de 1789. D’autres luttes et la révolution de 1848 seront nécessaires pour l’abolition générale.

Le gouvernement provisoire de la Deuxième République abolit l’esclavage sur tous les territoires français par le décret du 27 avril 1848, rédigé par Victor Schœlcher, qui prévoit deux mois de délai pour son application. À la Martinique, le 21 mai 1848, le soulèvement de milliers d’esclaves coûte la vie à 48 personnes et pousse le gouverneur de l’île à avancer, au 23 mai, l’abolition. Dans les autres îles, Guadeloupe, 27 mai, Guyane, 10 juin avec effets au 10 août, Réunion, 20 décembre.
Les planteurs contournent l'interdiction de l'esclavage en faisant venir des travailleurs sous contrat de la Chine du Sud ou de l'Inde du Sud, nouvelle forme d’esclavage.

Le 30 avril 1849, Louis-Napoléon Bonaparte indemnise planteurs et colons. Ils reçoivent six millions de francs pour dédommagement de la libération de près de 248 500 esclaves..

Les révoltes d’esclaves, les massacres de colons, l’interdiction de propriété foncière aux Blancs entraînent l’isolement international de l’État, Haïti est encore considérée comme française par le traité de Paris de 1815 : l’indépendance n’est reconnue par le France qu’en 1825, par les États-Unis en 1862.

La Guerre d’indépendance et les guerres fratricides ont ruiné le pays. La production s’est effondrée. Les pouvoirs successifs n‘ont pu dégager une politique nationale face aux puissance étrangères. Les dépenses somptuaires des dirigeants n’ont rien arrangé.
Fin 1803, presque tout le pays n’est plus qu’un vaste cimetière de cendres et de décombres.

Le mandat du général Boyer, 1818 à 1843, est suivi de successifs coups d’État de fractions de l’élite, noire ou mulâtre, appuyée par les milieux marchands surtout étrangers.
En 1825, Charles X
emploie la manière forte pour imposer une indemnité d'indépendance de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons, avec octroi de privilèges douaniers exclusifs au commerce français. En échange de la reconnaissance de Haïti. Cette somme est ramenée à 90 millions en 1838 par un accord, Traité de l’amitié.

Haïti doit emprunter aux banques françaises. La Banque nationale d’Haïti est créée en 1880, contrôlée par le Crédit industriel et commercial (CIC) qui, avec des prêts successifs, en tire d’importants bénéfices.... La France première créancière des emprunts haïtiens contractés de 1825 à 1896..

Haïti termine le paiement de la dette en 1888 mais les intérêts ne sont complètement remboursés qu’en 1957 : néocolonialisme par la dette. Ce qui affaiblit d’autant les possibilités d‘investissements pour le développement. Maisi a servi en partie à financer la Tour Eiffel.

En dehors de la réduction de 150 à 90 millions en 1838 sous Louis-Philippe, La France a continué à encaisser le remboursement de cette dette odieuse quel que soit le régime, royauté, empire ou république !!! Magnifique continuité de l’État.

Entre 1857 et 1913, la Marine des États-Unis envoie, 19 fois, des navires à Haïti pour protéger les vies et les biens des Américains.
Dès 1907, les États-Unis contrôlent 67% des importations haïtiennes. Les investissements étasuniens passent de 30 millions de dollars en 1898 à 200 millions en 1911. En 1910, la National city Bank entre au capital de la Banque nationale. À l’été 1915, commence une occupation militaire étasunienne jusqu’en 191934. En dix ans, un quart du revenu total d’Haïti parti en remboursement de dettes contrôlées par la National City Bank.
Aprfès le départ de leurs troupes, les États-Unis maintiennent leur contrôle financier jusqu’au complet rembourseent des dettes.

L’esclavage coûte cher aux uns et rapporte gros aux autres.
Des articles récents insèrent l’esclavage et la traite dans le développement du capitalisme britannique. Au point de vue financier, emprunts de planteurs, assurances des armateurs, développement industriel…
Mais ceci est une autre histoire.

Pour ne pas oublier
Le 23 mai 1998, a été organisée une Marche pour honorer la mémoire des victimes de l’esclavage colonial. Le Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98) milite pour une mémoire apaisée, débarrassée des ressentiments permettant la Réconciliation des descendants d’esclaves avec les descendants d’esclavagistes  la fraternité contre le racisme.
Le CM98 a obtenu la création d’un Mémorial au jardin des Tuileries avec les noms attribués aux esclaves devenus libres par le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848.


 

De Bathilde aux Révolutions, abolition de l’esclavage
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