L’entretien du président de la République avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plénel a été un grand événement médiatique, plus par la forme que par le fond.
De la forme, il faut espérer que les journalistes retiendront qu’il est possible de poser des questions, il n’est pas de mauvaises questions, pas obligatoirement agressives mais dérangeantes, pertinentes, documentées qui pousseront le président à se dévoiler plutôt qu’à dérouler un discours bien rodé.
Cet entretien a été bien préparé par les communicants du président et par Emmanuel Macron lui-même. Ce n’était pas l’Élysée où le président reçoit, es qualité, mais la mise en scène de Jupiter, soutenu par la Tour Eiffel à la fois majestueuse et symbole phallique du jeune mâle dominant. Sûr de lui-même, parlant sans note, la caméra complaisante montrant au contraire Edwy Plenel et se feuillets inefficaces, connaissant ses dossiers, qui pouvait en douter...
Face à des journalistes chevronnés aux questions agressives, cherchant plus le bon mot, la République en force, propres à séduire les militants plutôt qu’à mettre en relief les décisions prises depuis 10 mois ou à montrer les contradictions entre les paroles et des actes…
Malgré tout des contradictions sont apparues.
Il n’y aura pas d’impôt nouveau mais une piste intéressante offerte sans contre-partie par Jean-Jacques Bourdin, une journée de travail non payée comme le vieux monde l’a déjà fait avec Jean-Pierre Raffarin.
Double solidarité intergénérationnelle. Les retraités payaient par leurs cotisations quand ils étaient actifs, solidarité intergénérationnelle oblige, pour la retraite de leurs anciens. Aujourd’hui, par solidarité intergénérationnelle, on leur demande de faire un effort, on ponctionne leur retraite. Emmanuel Macron supprime l’ISF pour que les riches investissent dans la finance et ponctionne les retraités qui ne doivent pas avoir assez pour cela. Macron les a, généreusement, remerciés de leur effort !
Emmanuel Macron a beaucoup insisté sur le respect des lois, de la Constitution, des Conventions internationales... Cela ne l’empêche pas de passer outre quand cela l’arrange !
L’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien, en contradiction avec les lois internationales, justifie à ses yeux l’intervention des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. Cependant, ces États se sont affranchis de l’assentiment des Nations Unies. Emmanuel Macron a les preuves de la culpabilité du gouvernement syrien, sans attendre l’avis des experts de l’ONU (OIAC). Il faut espérer qu’elles n’ont pas été fournies par les services étasuniens.
On se souvient, les États-Unis avaient aussi des preuves pour justifier la guerre en Irak.
En jouant au gendarme du monde, même sans mandat, Emmanuel Macron montre au peuple français qu’il est un homme d’autorité à l’extérieur, comme à l’intérieur.
Depuis 2012, le placement des enfants en centre de rétention a valu à la France d’être condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme.
La France a-t-elle changé de comportement depuis l’élection du respectueux Macron ? Non, des enfants sont placés en centre de rétention avec leur famille. En 2014, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a bien précisé qu’il n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être placé en rétention en raison de son statut ou de celui de ses parents, au regard de la législation sur l’immigration. Au mois de mars 2018, un nourrisson prématuré aurait passé la nuit dans un centre de rétention de Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) dans une chambre... à 10°C. Et l’intervenante de la Cimade qui signale ce cas, affirme : C'est simple, on n'a jamais vu autant d'enfants (L’Obs 02/03/18).
Emmanuel Macron ne croit pas au ruissellement mais supprime l’ISF, sans aucune contrepartie, comptant sur la bonne volonté des bénéficiaires. On se souvient des emplois promis par le patronat au moment du CICE.
Cet argent sera-t-il mis dans les entreprises françaises ou dans la spéculation boursière ?
Pour le président de la République, l’État doit faire respecter la loi. Certes. Mais ce n'est qu'au bout de 50 années de luttes à ND des Landes pour que le gouvernement, et Emmanuel Macron, perçoive l’inutilité de la construction du nouvel aéroport.
Faudra-t-il 50 années de luttes, pas toujours respectueuses de la légalité, pour que le successeur de Macron prenne conscience que le développement rural peut passer par de nouvelles formes d’organisation qui ne sont pas encore reconnues par la loi ? Collectives et non individuelles, parfois plus respectueuses de l’environnement ?
Après le compromis du Larzac, l’armée ne s’est pas effondrée, ni la nation, ni l’autorité de l’État. Vont-elles s’effondrer sous Emmanuel Macron ? Ou confond-il autorité et autoritarisme ?
Si l’argent ne ruisselle pas, il s’accumule. Suivant l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), en 2018, le niveau de vie des 5 % les plus riches progressera de 1,6 % en raison des mesures fiscales, contre 0,1 % pour les 95 % restant et alors même que les plus pauvres subiront un recul de 0,6 %… En 2019, la situation sera un peu corrigée, mais pas suffisamment pour rééquilibrer les mouvements : la politique fiscale du gouvernement creuse les inégalités (Mediapart 09/04/18).
Avec juste raison, Emmanuel Macron fait la différence entre optimisation fiscale qui joue, légalement sur la différence des législations nationales qu’il peut, difficilement, réformer seul et fraude fiscale qu’il condamne sans cependant toucher au verrou de Bercy comme l’ont justement rappelé Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel. Mais pourquoi le nombre d’inspecteurs des impôts ou d’inspecteurs du travail est-il en diminution ?
Le président des riches et son gouvernement sont plus préoccupés par la fraude au RSA, chiffrée à 335 millions d’euros alors que le non recours au RSA s’élève à 5,2 milliards, qu’à la fraude aux cotisations sociales estimée 20 milliards d’euros !
Ce n’est pas de l’optimisation fiscale mais comment faut-il appeler les 509 niches fiscales ? Qu’a fait le gouvernement pour en réduire le nombre et l’importance ? Il n’est pas nécessaire pour cela d’une entente au niveau de l’Union européenne.