J'ai aussi connu Apo en Algérie. Il faisait partie d'un groupe de révolutionnaires brésiliens échangés contre un ambassadeur.Je ne sais plus lequel car il y a eu, dans la même période, trois échanges entre les ambassadeurs d'Allemagne, de Suisse et des Etats-Unis, je crois, et un certain nombre de détenus politiques au Brésil, la plus importante a concerné 40 détenus.
Après un passage par Cuba, certains d'entre eux se sont retrouvés en Algérie et nous en avons connu plusieurs. Parmi ceux que j'ai connus, l'histoire la plus "extraordinaire" est celle d'Apo.
Apo était à l'école des officiers du Brésil quand a eu lieu une tentative de putsch de gauche. Apo s'est retrouvé exclu de l'Académie militaire mais comme un officier même "félon" ne pouvait être réduit à la mendicité, l'Etat a alloué à sa soeur une pension de "veuve de guerre" qui a permis à Apo de poursuivre, rémunéré par l'Etat, la carrière d'une vie de "révolutionnaire professionnel".
Apo était membre du parti communiste brésilien. Ses options politiques l'ont conduit à mettre les compétences acquises à l'Académie militaire au service du gouvernement espagnol, lors de la guerre civile. Qu'il a perdue, bien entendu.
Il s'est retrouvé ensuite dans les maquis français du Sud-ouest, "libérateur d'Albi et de Carmaux". C'est à cette occasion qu'il a rencontré une Française, Renée, Marseillaise, qu'il appelait sa "douce tyrane".
Rentré en famille au Brésil, avec au moins un enfant, il a repris ses activités militantes au PCB. Mais sous la dictature, ayant trouvé que le PCB n'était pas assez à gauche, il a fondé le PCB-R (révolutionnaire) qui est entré dans la lutte armée.
Apo était un homme étonnant. Bel homme, aux temps grises, à la voix douce, d'une courtoisie qui faisait penser à un gentleman "vieille France". D'après ses camarades, par ses discours, il arrivait même à séduire les gardiens de prison. En tout cas, il était très loin de l'image du communiste au couteau entre les dents. Je me souviens d'une rencontre devant la poste d'Alger où j'ai subi un "abraço" chaleureux qui m'a secoué pendant plusieurs minutes. Et d'un optimisme à toute épreuve. "Oriol, des lunettes vertes, il faut mettre des lunettes vertes".
Mais je vais trop vite. Comme beaucoup de ses camarades de clandestinité, Apo a été arrêté. Il n'a retrouvé sa liberté qu'en échange d'un ambassadeur. Arrivé à Alger, il a fait fonctionner le réseau des anciens résistants, il était, je crois, colonel des FTP, et a pu revenir en France. Où il a reconstitué le réseau du PCB-R notamment avec d'autres "échangés" comme lui.
Quand nous sommes revenus d'Algérie, en 1972, nous avons acheté un appartement à Belleville (Paris) et le jour où nous nous sommes installés un couple de ses camarades que nous avions connus à Alger, nous attendaient assis devant la porte, au septième étage ! A l'étonnement des voisins qui leur ont demandé s'ils avaient l'intention de rester là longtemps !
Ils ont séjourné quelque temps chez nous puis l'appartement a servi de lieu de réunion. Quand nous rentrions, ils étaient installés dans la salle de séjour, assis sur le tapis du Djebel Amour, et nous traversions la salle de séjour en ne voyant personne.
Plus tard, quand nous sommes allés au Brésil, nous avons rencontré certains de ces militants qui nous connaissaient pour nous avoir vu traverser la "salle de réunion" mais que nous ne connaissions pas.
Parmi les militants du PCB-R libérés, lors d'un autre échange, il y avait un fils d'Apo et de Renée. Ses activités militantes l'ont conduit au Chili où séjournaient beaucoup de révolutionnaires sud-américains du temps d'Allende. Nous l'avons rencontré quand nous y sommes allés lors de l'été 1972. Il y était encore en septembre 1973, lors du coup d'Etat de Pinochet et s'est retrouvé au Stade. Dont il est sorti en affirmant qu'il était français, ce qui était exact, français de sang par sa mère la "douce tyrane". Mais pour prouver sa nationalité, il a dû chanter la Marseillais sous les coups de crosses de militaires et les autorités diplomatiques françaises l'ont alors récupéré. Il est revenu rejoindre la cellule PCB-R de Paris. A Paris, il était donc français, il a été appelé pour faire le service militaire dont il s'est fait dispenser pour des raisons médicales : "claustrophobie", "intolérance à l'uniforme" à la suite des mauvais traitements subis pendant ses incarcérations.
Quand le retour au Brésil a été possible, tous sont repartis et beaucoup ont rejoint le PT. De telle sorte que, quelques années plus tard, quand ils nous ont invité au Brésil, nous avons pu bénéficier des "hôtels PT", c'est-à-dire faire le tour du Brésil en logeant chaque fois chez des camarades du PT que nous avions connus ou qui nous avaient connus à Alger ou à Paris.
Apo avait la carte n°1 du PT, il a continué d'y militer jusqu'au bout. Il en était une personnalité emblématique. Lula lui a rendu hommage.
NB :
1) Une émission de télévision au moins a raconté une partie de la vie d'Apo, dans la résistance.
2) Apo a publié un livre en portugais : "Vale a pena sonhar" Carvalho Apolonio De, Editeur : Rocco - Date : 1997
3) Une biographie d'Apo et de Renée, plus complète et moins anecdotique peut être consultée sur : http://rioscope.com.br/?p=1005&lang_pref=fr