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3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 18:18
 

La nomination d'un premier ministre à l'accent méridional a fait connaître à beaucoup la glottophobie. Mais la discrimination par l'accent n'est pas récente. Il y a quelques dizaines d'années le président Vincent Auriol...

Ci-après un article sur une expérience personnelle déjà publié en 2009. Je n'ai pas changé une virgule. J'ai seulement ajouté 2 photos (publié sur agoravox le 05/12/20). Et corrigé, à la nième relecture le 07:06:21)) quelques erreurs de frappe.

Dans mon souvenir, j'ai eu "l'accent", pour la première fois quand je suis allé en sanatorium à Palavas (les flots) pour redresser ma colonne vertébrale qui, d'ailleurs, est restée tordue. On retrouvait là, à Saint Pierre, des enfants de toute la France. Avec des problèmes de colonne vertébrale. De toute la France, pour la première fois, "je sortais du midi". Jusque là,les Parisiens avaient un accent, les gens du nord avaient un accent et les Marseillais. Nous, non. Et je me souviens de la première Tourangelle que j'ai rencontrée qui prétendait avoir le bon accent, parler le bon français et qui disait "vas-y pas"... Cela leur valait des "Parisiens, têtes de chien, Parigots, têtes de veau"...

A Palavas, la grande distraction était de me demander  :

- Comment tu appelles le truc de cocagne auquel il faut monter pour gagner un lot ?

- Un "mattt" de cocagne.
Éclat de rire généralisé :

- C'est un "ma" de cocagne.

- Et comme s'appelle la reine d'Angleterre ?

"Elisabé".
Éclat de rire généralisé :

- C'est "Elisabett".

Depuis mon accent a fait l'objet de multiples commentaires quasiment journaliers.

A la télévision, seul Roger Couderc est devenu journaliste vedette "accentué" parce qu'il commentait les matchs de rugby avec une certain nationalisme sympathique (forcément) franchouillard : "Allé les petits". Il faut ajouter les journalistes de la météo. Mais à une époque où on parle de diversité, s'il est impossible d'être journaliste de télévision et noir, il est impensable d'être journaliste de télévision ou de radio avec un accent méridional ou alsacien ou...

Bien sûr, "l'accent" est ridicule au cinéma. Seuls l'ont les gendarmes, les douaniers, toujours imbéciles... Pour reprendre un mot connu : "Quand on est cocu avec l'accent de la télé ou... c'est un drame. Quand on est cocu avec "l'accent" ce ne peut être qu'une comédie".
Si un film se passe dans le midi, dans le meilleur des cas, les comparses ont l'accent local et les héros, l'accent "normal" ! C'est notamment le cas d'un film de Paula Delsol qui a, encore, Palavas pour cadre : "La Dérive" (1964).

Seuls les Marseillais, avec Pagnol et quelques autres sont arrivés à créer des drames "accentués". Dans "La vieille femme indigne" (1965), René Allio fait dire à la Vieille femme : " Mon fils est parti pauvre et avec l'accent et revenu riche et sans accent". Ce qui correspond bien à la volonté (à la nécessité ?) de perdre l'accent méridional pour avoir la promotion sociale.

C'est ce que pensait ma mère : "Tu le fais exprès de garder l'accent (bien entendu, elle l'avait aussi), regarde Gérard, il ne l'a pas comme toi". Gérard est un copain d'enfance, nous nous suivons depuis la 6ème. Nous sommes médecins tous les deux. Et il a l'accent méridional, pas le même que moi et probablement plus "classe" pour ma mère. Il a fallu que j'écoute Gérard pour m'assurer qu'il l'avait bien... Je n'avais jamais fait attention à la question. Pour ma mère, la promotion sociale passait par le métier, la voiture, les signes extérieurs de richesse et la perte de l'accent !

Il est toujours difficile de parler de l'accent de celui qui vous parle du votre. L'accent c'est toujours l'accent des autres. Et des minoritaires. Beaucoup soutiennent qu'ils n'ont pas d'accent. Quelquefois je suis amené à leur dire que seuls les muets n'ont pas d'accents. Mais je n'en suis pas sûr. Le langage des signes lui aussi doit être accentué !

Durant mes études nous avions fait, dans le cadre de l'AGET (Association générale des étudiants de Toulouse) des échanges avec des étudiants italiens. Un jour, une Italienne me dit : " Comment se fait-il que vous les Français quand vous parlez italiens vous le faites avec l'accent français alors que nous, quand nous parlons français nous ne le faisons pas avec l'accent italien ?". Il m'a fallu lui demander de répéter pour vérifier qu'elle parlait évidemment avec un fort accent italien que je n'avais pas remarqué parce que cela me paraissait tellement naturel.

Récemment, une amie que j'ai connue quand elle est arrivée de Roumanie, m'a parlé de son accent. Médecin, elle travaille pour un grand laboratoire international. Elle prend la parole devant des assemblées de médecins et, à plusieurs reprises, on lui a parlé de son accent. Ce qui semble commencer à l'irriter dans sa volonté d'intégration (?). Bien qu'elle soit française désormais, qu'elle parle correctement le français, elle conserve un accent roumain atténué (elle reprend pleinement l'accent roumain quand elle parle roumain). Je me suis contenté de lui faire remarquer que la grosse différence entre nos accents est que le sien était légitime. Elle est, il est d'origine étrangère. Le mien non. Elle est une femme et ce qui, dans une assemblée quelconque serait ,aussi handicap, ne l'est pas ici ou l'est moins du fait du choix du laboratoire. Elle le sait très bien, elle qui en joue et n'a pas la même tenue à la ville que lors de ses interventions (c'est elle qui le dit), elle sait qu'elle est en représentation. De plus quand elle prend la parole devant une assemblée de médecins au nom de son laboratoire, elle est légitime d'entrée car son laboratoire l'a mandatée et garantit sa compétence.
Ce qui dans la vie quotidienne est un handicap l'est beaucoup moins ici ou ne l'est pas. Quand une femme prend la parole dans une assemblée de façon anonyme, ou une personne qui a "l'accent", il faut passer la barrière.

Quand j'étais étudiant, c'était l'époque de la guerre d'Algérie, nous parlions beaucoup de politique. J'avais sympathisé avec un condisciple qui était de Bordeaux, chabaniste, j'étais socialiste mendésiste. Un jour, il me dit : "Au début avec ton accent, je t'ai pris pour un con". Le charmant et honnête homme. Et nous étions à Toulouse. Il a été le seul à me le dire. Mais combien l'ont pensé ? Peut-être ont-ils pensé que leur premier jugement était le bon. Toujours, il a été le seul à me le dire.

Plus récemment, j'ai été amené à prendre la parole devant la Convention sur l'avenir de l'Europe, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Après l'audition des représentants du mouvement associatif, le président nous a invité au pot de l'Amitié. Nous nous y rendons. Le président m'aborde : " C'était très intéressant ce que vous avez dit. D'ailleurs, vous parlez très bien le français, de quelle nationalité êtes-vous ?" Inutile de dire que comme ceux de tous les intervenants, mon texte était bref et avait été rédigé par un collectif d'associations. Que son contenu n'intéressait en rien le président qui avait eu la condescendance de nous écouter. Ce qui l'avait intéressé, c'était mon accent "étranger".

Cela me ramène à une distribution de tracts à la gare de Versailles Rive droite. Des tracts en faveur des travailleurs sans papiers. Une dame, charmante, s'arrête pour contester le contenu du tract. Discussion très courtoise. Et tout d'un coup, ça dérape. "D'ailleurs, vous même vous ne devez pas être français". Après lui avoir rappelé que mon grand père était mort à la guerre de 14 (je n'ai pas signalé que mon autre grand père était espagnol) et que mon père avait été prisonnier en 40, je me suis contenté de lui faire remarquer qu'il n'était pas nécessaire de gratter beaucoup pour faire apparaître un racisme de bon ton.

C'est ce même racisme qui perce derrière les moqueries amicales de certains copains, d'ailleurs beaucoup plus doués que moi pour faire des imitations. Mais ce copain qui se moque de moi en m'imitant très bien, je crois, imite aussi bien un Noir ou un Maghrébin (même si tous les Noirs et tous les Maghrébins n'ont pas le même accent). Mais je ne l'ai jamais vu imiter un Noir devant un Noir ou un Maghrébin devant un Maghrébin, ce qu'il fait, par amitié, avec moi, devant moi. Où est le racisme, ou le paternalisme ?...

Anne a enseigné le français en Algérie de 1965 à 1972. Lors de sa première inspection elle obtient une bonne appréciation accompagnée d'une remarque : "J'aimerais que madame ne transmette pas son accent à ses élèves" ! Faut-il interdire aux personnes qui ont un accent "minoritaire" d'enseigner le français ?

Christian est professeur d'anglais. La remarque ne vient pas cette fois d'un inspecteur. "Comment fais-tu pour enseigner l'anglais avec cet accent ?" Il semble qu'il y a un accent français qui prédestine à l'enseignement de l'anglais !!! Peut-être faudrait-il réserver aux occitans les professions de gendarmes et de douaniers, imbéciles de préférence.

Mon nom aidant, à l'époque tous les jours et aujourd'hui seulement avec quelques vieux qui ont encore de la mémoire : " Ah, Vincentttaurriol !!!"... Lors de son élection à la présidence de la République, René Coty a prononcé cette phrase magnifique : "A partir d’aujourd’hui, je prends fermement parti de ne plus faire parti d'aucun parti politique". Dans mon souvenir, personne n'a éclaté de rire. Et le lendemain un parti, je ne sais lequel, était déjà parti. (Et je ne me souviens pas qu'à l'époque, le fait que René Coty ait voté les pleins pouvoirs à Pétain en 40 ait été souligné. Je l'ai appris ces jours-ci par la presse). Mais "Vincenttttaurriol" persiste encore.

Inutile de parler de Fernandel , comique troupier accentué, qui a pu cependant jouer des drames.

Pour récompenser ceux et celles qui ont eu le courage de lire jusqu'ici, voici le poème de Miguel Zamacoïs (1866-1955) que Fernandel récitait à l'époque.

L'accent

De l'accent ! de l'accent ! Mais après tout en ai-je ?
Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ?
Et si je vous disais, à mon tour, gens du Nord
Que c'est vous qui nous semblez l'avoir très fort,
Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde
"Ces gens là n'ont pas le parler de tout le monde !"
Et que tout dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir l'accent, pour nous, c'est en avoir...
Eh bien ! non, je blasphème ! Et je suis las de feindre !
Ceux qui n'ont pas l'accent, je ne peux que les plaindre !
Emporter de chez soi les accents familiers,
C'est emporter un peu sa terre à ses souliers,
Emporter son accent d'Auvergne ou de Bretagne,
C'est emporter un peu sa lande ou sa montagne !
Lorsque, loin du pays, le cœur gros, on s'enfuit,
L'accent ? Mais c'est un peu du pays qui vous suit !
C'est un peu cet accent, invisible bagage,
Le parler de chez soi qu'on emporte en voyage !
C'est pour les malheureux à l'exil obligé,
Le patois qui déteint sur les mots étrangers !
Avoir l'accent enfin, c'est chaque fois qu'on cause
Parler de son pays en parlant d'autre chose...
Non, je ne rougis pas de mon fidèle accent !
Je veux qu'il soit sonore, et clair, retentissant !
Et m'en aller tout droit, l'humeur toujours pareille,
En portant mon accent fièrement sur l'oreille !
Mon accent ? Il faudrait l'écouter à genoux !
Il nous fait emporter la Provence avec nous,
Et fait chanter sa voix dans tous mes bavardages
Comme chante la mer au fond des coquillages !
Écoutez, en parlant, je plante le décor
Du torride midi dans les brumes du Nord !
Mon accent porte en soi de terribles mélanges
D'effluves d'orangers et de parfums d'orange ;
Il évoque à la fois les feuillages bleu-gris
De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris,
Et le petit village où les treilles splendides
Éclaboussent de bleu les blancheurs des bastides !
Cet accent là, mistral, cigale et tambourin,
A toutes mes chansons donne un même refrain,
Et quand vous entendez chanter dans ma parole
Tous les mots que je dis dansent la farandole !

Ce poème à 15 ans (?) nous le savions par cœur. Même si depuis nous l'avons un peu oublié car nous en avons assez d'entendre faire le lien entre l'accent, le beau temps, le farniente, pour ne pas dire plus, et les vacances.
Combien de fois après avoir réagi à une remarque concernant mon accent, l'interlocuteur pour désamorcer la querelle se réfugie derrière  : " Il es beau votre accent, il rappelle les cigales et les vacances".
J'ai vraiment de la chance, je suis un homme perpétuellement en vacances. Peut-être les autres sont-ils en vacances en m'entendant. Moi ne n'y suis pas car je ne m'entend pas.


 
L'accent
 
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commentaires

S
Super page, merci :) au plaisir de vous voir.
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