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28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 23:36

 

«Les États n'ont pas d'amis mais des intérêts» aurait dit le général de Gaulle. C'est en ayant cette idée à l'esprit qu'il faut juger les interventions extérieures des États. Ou les non interventions. Et il faudrait aussi préciser, des intérêts «réels ou supposés».


 

En tout cas, cela incite à ne pas prendre pour argent comptant François Hollande quand il justifie (11/01/13) l'intervention de la France en disant qu'il s'agissait « non pas de ses intérêts fondamentaux mais des droits d’une population, celle du Mali, qui veut vivre libre et dans la démocratie ». Ce n'est pas exactement ce que dit Jean-Marc Ayrault : «Aujourd’hui, nous sommes engagés dans une démarche qui vise à défendre les intérêts de la France et à protéger la France».(AN 16/01/13).


 

Si la France doit intervenir chaque fois que les «droits d'une population» sont atteints, elle aura fort à faire de la Palestine... à la Corée du nord en passant par l'Arabie saoudite. Mais peut-être est-ce cette volonté de défendre tout le monde qui explique que « Depuis l’indépendance des pays africains, la France est intervenue une soixantaine de fois» ? (http://blogs.mediapart.fr/blog/antoine-montpellier/190113/mali-la-france-est-la-source-des-problemes-elle-ne-peut-etre-la).



Il ne faut cependant pas faire porter la responsabilité de toute les interventions extérieures de la France à François Hollande mais, au delà de l'urgence, juger sur pièce plus que sur parole. Pour le moment, ce qui frappe, ce n'est pas le changement mais la continuité.


Le président (Sarkozy) déclarait en 2008 : "La France n'a pas vocation à maintenir définitivement des forces armées en Afrique. L'Afrique doit prendre en charge les problèmes de sécurité". Et en juin 2010, à Nice, lors du sommet Afrique-France, il assurait que "les soldats de la France" n'avaient "pas vocation à s'ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire".
Quelque temps plus tard, oubliant ces déclarations, il faisait entre en action la force Licorne, sous le mandat de l'Onu, pour destituer Laurent Gbagbo.


Le président (Hollande) déclarait en octobre 2012 : "Le temps de la Françafrique est révolu : il y a la France, il y a l'Afrique, il y a le partenariat entre la France et l'Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité". M. Hollande a ajouté qu'il comptait bien refermer la longue parenthèse des réseaux d'influence (Le Monde 12/10/12).
Le 11 janvier,
«La France, à la demande du président du Mali et dans le respect de la Charte des Nations unies, s’est engagée pour appuyer l’armée malienne face à l’agression terroriste qui menace toute l’Afrique de l’Ouest... préparer le déploiement d’une force d’intervention africaine pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité... que les moyens utilisés par la France soient strictement limités par rapport à cet objectif... protéger nos ressortissants... Je rappelle que la France dans cette opération ne poursuit aucun intérêt particulier... (12/01/13).

 


Passons sur le fait que la protection des ressortissants français, on parle de milliers de personnes, ne soit pas un intérêt particulier pour la France ! Passons sur les discussions autour de la légitimité du gouvernement malien, issu de et mis en question , par un putsch militaire...

 


Pour empêcher l'arrivée des djihadistes à Bamako, inutile de compter sur les troupes de la CEDEAO ou autres contingents de l'ONU ! Les discussions sur une telle intervention traînaient depuis longtemps : «Je rappelle qu’une opération militaire est envisagée depuis avril 2011 ; j’ai en souvenir les déclarations du ministre de la défense en août 2012. J’ai surtout en souvenir le discours du Président de la République le 25 septembre à la tribune des Nations Unies où il évoque un soutien aérien et logistique à une initiative africaine.» (Intervention d'Hervé Morin à l'AN, 16/01/13).

La France faisait pression en faveur d'une intervention et le secrétaire de l'ONU et Romano Prodi l'annonçaient pour l'automne. Après cette information «téléphonée», il n'est pas étonnant que les djihadistes en aient tiré la conclusion logique de ne pas attendre pour lancer leurs troupes vers Bamako !

 


En quelques jours, les déclarations françaises ont beaucoup évolué ! Passant d'un soutien logistique à un appui au sol de l'armée malienne et finalement à un engagement sur le terrain, diplomatiquement, «aux cotés de l'armée malienne»... L'intervention visant à cantonner les djihadistes dans le nord, puis à les repousser, enfin à ne pas tolérer de poches de résistance et à les détruire.
Vérités successives, diplomatiques ou prises de conscience progressives des difficultés de l'entreprise...

 


« Heureux quand ils arrivent, heureux quand ils partent» (un ami parlant de ses enfants et petits enfants...)
Si les choses durent, l
'armée française, accueillie en libératrice à Bamako, risque d'être perçue comme une troupe d'occupation. Pas seulement au nord. Bienvenue en raison des «liens privilégiés», sa présence deviendra «néocolonialiste». Il peut en être de même, avec des mots différents, pour les troupes de la CEDEAO.

 


La réoccupation militaire du nord ne résoudra pas tous les problèmes. La question de l'indépendance ou de l'autonomie de l'Azawad, question posée depuis des dizaines d'années et non résolue malgré plusieurs accords...
En1957, les Touaregs refusaient d'être rattachés à l'ouest-africain et voulaient être intégrés au Sahara français. Ils se révoltèrent à plusieurs reprises en1963-1964, avec une sévère répression qui a laissé des traces. Nouvelle révolte en 1990-1996, puis dans les années 2000. Des accords ont été signés en 1990, 1991, 2006. Puis les Touaregs engagés en Libye sont rentrés, après la chute de Kadhafi, avec armes et bagages et le MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad), hostile aux djhadistes, a mis en déroute l'armée malienne et proclamée l'indépendance de l'Azawad jusqu'à l'intervention des djihadistes.


A cet irrédentisme touareg, s'ajoute la présence de djihadistes dont certains sont étrangers, l'AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) et le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest) et d'autres touaregs (Ansar eddine).

 

 

L'Algérie a entamé des négociations pour séparer AQMI et le MUJAO du MNLA et Ansar Eddine (islamistes de l'Azawad). Ce sont ces derniers qui semblent avoir pris l'offensive vers le sud.

L'Algérie a combattu férocement les islamistes sur son territoire, ils se sont implantés dans l'Azawad (AQMI). L'Algérie affiche non interventionnisme absolu à l'extérieur et intransigeance absolue à l'intérieur avec les islamistes, la dernière prise d'otage le confirme. Finalement les djihadistes se sont partagés le travail : Ansar Eddine au sud, l'AQMI au nord !

 


Comment va se passer «l'occupation» du nord par des troupes maliennes ou étrangères, arrivées dans les fourgons de l'armée française et suspectant toutes les populations touaregs de solidarité avec les djihadistes. Les «libérateurs»vont avoir quelques difficultés à faire le tri. "Être arabe, touareg ou habillé de façon traditionnelle, pour quelqu'un qui n'est pas de Sévaré, cela suffit à le faire disparaître",(Express 21/01/13). Des plaintes contre les exactions de l'armée malienne existent déjà ! L'armée française va-t-elle rester inerte devant les éventuels écarts de comportement de ces troupes ou va-t-elle les «contrôler» ? A quel titre ?

 


L'engagement particulier de la France peut être qualifié de colonialiste ou post colonialiste car il repose sur un passé et des accords particuliers avec le Mali et la présence de troupes dans divers pays africains qui ont permis une intervention rapide.
Mais nul autre pays ne s'est précipité avec ses avions ou des troupes aéroportées... Cette non intervention est tout aussi intéressée que l'intervention française. Si celle-ci perdure, s'ensable, d'autres auront conservé leur innocence et seront prêts à prendre le relais politique et économique...

 


De toute façon, ou la France intervenait et elle était immédiatement soupçonnée de néocolonialisme y compris de ceux qui affirment que c'est à elle d'intervenir, ou elle n'intervenait pas et elle aurait été comptable des exactions des djihadistes et accusée de laxisme, de faiblesse, de trahison.

 


Restent les vraies questions, graves questions. Pourquoi le Mali, le peuple malien, son gouvernement, son armée sont dans un tel état.? Comment sera le Mali au départ des troupes françaises. Et les institutions, gouvernement, armée ? Et la démocratie ? Dans quel état sera la population civile ? Dans quelle situation seront les personnes déplacées ?.

Le Mali fait partie des pays les moins avancés. La France, le FMI ont une responsabilité dans l'effondrement de l'Etat malien avec les ajustements structurels qui l'ont mis à genoux. Un important pourcentage de la population vit sous le seuil de pauvreté soit 36,1 % (2005). Cette année là, à l'indice de développement humain, le Mali était classé 173e sur 177 pays. Il fait partie de 48 pays les moins avancés dont 33 sont en Afrique et 12 sont d'anciennes colonies françaises !

 


Il n'est pas sûr que les pays de la CEDEAO appelés à intervenir soient dans une situation bien meilleure ! La corruption à grande échelle n'est pas une spécificité malienne.
Dans la région, 18 millions de personnes souffrent de la faim, le désert s'étend et les jeunes, de plus en plus nombreux, n'ont pas de perspectives d'emplois. Les djihadistes n'en sont que plus séduisants. Mais même si on les chasse, on n'aura pas résolu les problèmes de l'Afrique occidentale. Un engagement plus durable sera nécessaire. Avec une politique commerciale plus équitable.
La France continue à extraire l'uranium d'Afrique occidentale à des prix dérisoires pour son industrie nucléaire, comme le ferait une ancienne puissance coloniale. (14/01/13
Tages-Anzeiger – Suisse).

 


L'armée malienne a montré son inexistence, chassée en quelques semaines du nord par le MLNA, lui même mis militairement hors jeu par les djihadistes. Concernant l'armée malienne, le Times écrit : «L'un des résultats les plus alarmants de l'épisode malien est que la plupart des soldats entraînés par les États-Unis sont, dit-on, restés dans leurs baraquements ou ont déserté pour rejoindre les islamistes»(cité par CI 14-30/01/13). Petit air de déjà entendu : parmi les djihadistes qui viennent de connaître une certaine célébrité, écho de l’Afghanistan, M. Belmokhtar y a acquis son entraînement alors que les États-Unis armaient les moudjahidines (Financial times Revue de presse de l'ambassade française à Londres 18/01/13).

 


Il est à craindre qu'une victoire militaire des Français au nord-Mali, sans solution politique dans l'Azawad et à Bamako, ne résolve pas les problèmes et soit à l'origine d'une dissémination des djihadistes dans l'ensemble du Sahel.

 


L'intervention au Mali a d'autres effets. Le soutien appuyé de Hollande à Bouteflika lors de son voyage en Algérie dépasse probablement la volonté de rapprochement des peuples. Soutien à un pouvoir qui a essayé de négocier avec Ansar eddine au Mali ? Contre l'armée, fer de lance contre les djihadistes ? Des craquements se font entendre entre Bouteflika et les militaires à propos d'In Amenas. Contre le peuple avec lequel la communication de Bouteflika est totalement absente ? Contre un peuple qui n'aime pas les djihadistes mais qui voit d'un mauvais oeil la France tentée par ses vieux démons coloniaux ?

 


Reste la question de la françafrique. Qui n'existe plus bien sûr. Mais les troupes africaines déployées au Mali viennent « du Bénin, du Nigéria, du Sénégal, du Togo, et du Burkina. Les autres se « préparent » à se déployer au Mali. Ainsi au Niger voisin, un bataillon est cantonné à Oualam, prêt à intervenir, avec les renforts tchadiens qui arrivent petit à petit. 400 militaires tchadiens seraient maintenant au Niger, sur les 2 000 prévus pour les opérations. Enfin, la Côte d'Ivoire promet elle aussi de participer avec un bataillon de 500 hommes...» (Rfi.fr 23/01/13). Si ce n'est pas une forme de Françafrique, cela lui ressemble beaucoup.

 


Si la France est si engagée dans l'aventure malienne, c'est parce qu'elle est l'ancienne puissance coloniale, avec des alliances d'État à État, des allégeances de chef de gouvernement souvent peu démocratiques, des troupes positionnées, des intérêts économiques et politiques. La motivation humanitaire et démocratique peut exister. Elle n'est pas suffisante pour justifier son intervention.

Elle permet de satisfaire l'orgueil national. Les djihadistes commettaient des crimes insupportables. Les troupes françaises sont bien accueillies. Faut -il croire que les autres pays européens sont pas aussi démocrates que la France, et leurs peuples aussi généreux que le peuple français ?

 


Il est évident que l'on est complètement désarmé devant la question : Alors, il fallait laisser faire ? Si on pose la question aux Français, c'est parce que la France a des responsabilités particulières par suite de son passé colonial et de ses relations néo-coloniales avec une partie de l'Afrique. Elle n'est pas posée de la même façon aux autres Européens.


Mais si des individus peuvent s'engager pour des raisons humanitaires, démocratiques. Les États ne le font que parce qu'ils ont des intérêts qu'ils accompagnent de justifications propres à entraîner l'adhésion des peuples. Pour lever le soupçon, il faut que le séjour militaire soit le plus bref possible suivi d'un soutien efficace  au pays.

 

Ajout  le 29/01/13 à 08h30  :  A noter, dans cette guerre très médiatisée, le peu d'informations sur les nombre de morts et de blessés qu'ils soient djihadistes, militaires de différentes nationalités ou appartiennent à la population civile. Il n'en sera pas toujours de même. D'autant qu'après le repli sans vraiment combattre des djihadistes, viendra le temps des coups de main.

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commentaires

P
salut Paul,<br /> <br /> dans cette affaire, il y a à mon avis 3 questions essentielles:<br /> 1/ comment se fait-il qu'un pays indépendant, le Mali, soit coupé en 2 depuis 1 an, le nord étant en état de secession. Sous les coups de 2 acteurs: les Touaregs et les islamistes (pour l'essentiel<br /> étrangers, semble-t-il, comme tu le dis)<br /> 2/ dans cet état de coupure en deux, quid de la faillite de l'Etat malien et de l'incapacité du peuple malien à prendre son destin en main (Sarko a été très maladroit dans son discours de Dakar, je<br /> ne suis pas sur qu'il ait eu entièrement tort)<br /> 3/ 1500 combattant islamistes qui prennent d'assaut un pays grand comme 4 fois la France et l'UA est aux abonnés absents?<br /> <br /> questions auxquelles il faut ajouter celle pour nous essentielle aussi:<br /> 4/ quels sont les réels objectifs du gouvernement français?<br /> <br /> Tu tentes de donner quelques éléments pour les questions 2/ et 4/. Pour la question 1/ tu évacues le pb en 2 lignes et n'abordes pas la question 3/.<br /> Je suis au regret cher Paul, mais je ne suis pas convaincu par ton article. Dommage, on voit bien que tu as fait un gros boulot.<br /> bonne journée<br /> Pierre
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P
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Question 1 : le Mali n'existe pas. L'histoire de l'"irrédentisme touareg" remonte au moins à 1957. J'ai résumé. Il faudrait un livre sur les relations touaregs-noirs, la question touareg qui<br /> ressemble à la question kurde (répartis dans plusieurs pays). Ce qui est nouveau, ce sont les djihadistes dans cette zone qui viennent d'Algérie AQMI ou d'ailleurs et fait nouveau Ansa Eddine qui<br /> se veut djihadiste et touareg mais qui connaît déjà une scission islamiste non djihadiste (MIA) !<br /> <br /> <br /> Le gouvernement malien n'existe pas : coup d'Etat et contre coup d'Etat. La corruption.... L'économie... FMI  Et l'armée malienne... Je ne pouvais faire 4 pages sur le sujet.<br /> <br /> <br /> Question 4 : les objectifs du gouvernement français sont dans la première phrase de l'article : préserver les intérêts supposés de la France. économiques (sécuriser )  mais aussi politiques,<br /> la crédibilité de la France. Si elle laisse les djihadistes aller à Bamako, c'est vraiment la fin de la confiance des pays de l"AOF" dans la protection française, une base pour attaquer tous la<br /> pays... !<br /> <br /> <br /> Tout cela me paraît limpide.<br /> <br /> <br /> Ce qui me paraît difficile, c'est comment dire "non" quand des gens appellent au secours même si c'est pour des raisons douteuses que tu es en situation de les aider. Mais pour l'Etat, c'est<br /> joindre l'utile  (défendre ses intérêts) à l'agréable (le soutien de la population, tous ces drapeaux...) mais jusqu'à quand ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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