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3 mars 2014 1 03 /03 /mars /2014 23:35

 

Référendum en Suisse : réaction en chaîne en Europe ?

 

 

Quelles sont les conséquences pour l'Union européenne (UE) du référendum suisse du 9 février 2014 ? Est-ce le premier signe de sa dislocation ?

 

Ce référendum présente trois particularités :

  • Il vise à limiter l'immigration pour les étrangers qui s'installent en Suisse et pour les frontaliers qui résident à l'extérieur de la Suisse et franchissent la frontière pour aller à leur travail, quotidiennement.

  • Quand un référendum d'initiative populaire, présenté sous forme de texte écrit, est voté par le peuple, son introduction, tel quel, dans la Constitution est obligatoire. Et sa force est supérieure à la loi, y compris aux traités.
    Or le contenu de l'initiative est clair :

    • Le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers est limité par des plafonds et des contingents annuels. Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers, asile inclus. Le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité.

    • Les plafonds et les contingents pour les étrangers exerçant une activité lucrative doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale ; ils doivent inclure les frontaliers. Les critères déterminants pour l’octroi d’autorisations de séjour sont en particulier la demande d’un employeur, la capacité d’intégration et une source de revenus suffisante et autonome.

    • Les traités internationaux doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans...


      Ce référendum a fait grand bruit dans les « hautes sphères politiques, gouvernementales et européennes », non parce que la Suisse va limiter son immigration, avec contingents ou plafonds. Tous les gouvernements de l'UE sont favorables à la limitation de l'immigration, quotas ou non, demandeurs d'asile ou non. Mais parce que cette législation va toucher surtout des ressortissants de l'UE qui voudraient s'installer ou qui franchissent la frontière quotidiennement pour aller travailler en Suisse.

      Les étrangers installés en Suisse sont,, à plus de 80%, ressortissants de l'Union. En effet, nombreux sont les Italiens 301 254 (soit 16.0%), les Allemands 293 156 (15.5 %); les Portugais 253 769 (13.5), les Français 110 190 (5.8), les Espagnols 75 387 (4.0 ), les Britanniques 40 405 (2.1)... A ces résidents, il faut ajouter les frontaliers, plus de 270 000 : Français (143 000), Italiens (62 000), Allemands (56 000) et Autrichiens (8 100).

     

    Les réactions à ce référendum ont été rapides. Certains ont avancé que la Suisse devait remplir les conditions de toute nouvelle adhésion à l'UE et « accepter tous les acquis de l'UE ». La Suisse ne pouvait choisir dans l'UE ce qui lui plaisait et refuser le reste.
    La Suisse n'appartient pas formellement à l'UE, le peuple a, déjà, dit non par référendum à la participation de la Suisse à l'EEE, en 1992. En réalité, même les adhésions formelles permettent aussi de petits arrangements discrets.

     

    A la place de l'adhésion formelle, la Suisse a signé, des années 90 à 2013, plus de 20 traités bilatéraux sur la facilitation et la sécurité douanières, la libre circulation, le commerce, les marchés publics, l'agriculture, la recherche, les transports terrestres, la fiscalité de l'épargne, les produits agricoles transformés, les média, l'environnement, la lutte contre la fraude, les pensions, europol, eurojust, l'éducation, la formation professionnelle, la jeunesse,, la coopération avec l'AED, la concurrence.
    C'est dire qu'on est loin de la loi du tout ou rien ! Les choses avançaient traité par traité.

 

Mais, revoir des traités qui lient la Suisse et l'UE peut donner des idées à des pays adhérents, anciens ou futurs, de l'Union. C'est ce que semble vouloir prévenirDaniel Cohn-Bendit quant il demande de faire un exemple avec la Suisse. « La Suisse a parfaitement le droit de se refermer sur elle-même. Mais nous n’avons pas à lui céder, sinon nous y perdrons tous ». C'est ce que Angela Merckel vient de refuser à Londres.

 

Le « non » des Suisses à la libre circulation des ressortissants de l'UE va, probablement, au delà des questions d'immigration et indique un rejet ou, au moins, une certaine méfiance vis à vis de l'UE. Ce n'est pas le premier « non » de peuples à l'évolution de l'Union. A plusieurs occasions, des peuples ont refusé d'avancer, y compris parmi les peuples fondateurs. Mais aujourd'hui, il s'agit pour la première fois, d'un pas en arrière, à la demande de citoyens !

 

Lors des précédents référendums rejetant un nouveau traité, comme aux Pays-Bas, en France (pour le projet de Traité constitutionnel) et en Irlande(pour le traité de Lisbonne), deux solutions ont été trouvées pour contourner l'opposition populaire. Renégocier le traité en apportant des modifications marginales (Traité de Lisbonne pour remplacer le projet de traité constitutionnel) et le faire entériner par les « représentants » du peuple que l'on savait majoritairement favorables, sans soumettre la nouvelle version au peuple dont la réponse était incertaine (France et Pays-Bas, référendums en2005, adoption par le Parlement en 2008). Ou organiser un nouveau référendum avec des annexes valables pour le pays mais non incluses dans le traité lui-même (Irlande, référendums sur le traité de Lisbonne en 2008 et 2009).

 

Quelle voie sera choisie avec laSuisse ? L'arrivée en Suisse d'une troïka ou d'un G20 qui viendrait, comme en Grèceen 2011, dicter sa conduite au peuple suisse pour empêcher le référendum, est peu probable !

Restent deux possibilités :

- Le gouvernement suisse a trois ans pour mettre la Constitution en conformité avec le vote du peuple,Il semble vouloir boucler les choses avant la fin de l'année. Il peut cependant faire traîner et susciter une nouvelle initiative pour obtenir un résultat différent, avec des moyens adéquats. L'inconscience des « compétents » les a empêchés de prévoir la victoire du « oui ». Il ne fait pas de doute que leur mobilisation serait différente lors d'un nouveau référendum sur la même question aidés par les pressions européennes.

- Les esprits européens calmés, pourraient accepter, discrètement, l'exception suisse, dans un nouveau traité. Malgré quelques déclarations plus menaçantes que diplomatiques comme celles de la Commissaire européenne à la Justice, Viviane » Reding : « Ce n’est pas possible. Vous prenez tout ou vous laissez tout ». Ou de Joseph Daul, le président du Parti populaire européen (PPE, conservateur) qui rappelle aussi qu’il « n'y a pas de place pour la négociation, car les règles ne peuvent être changées unilatéralement (…) La Suisse (…) doit accepter et garantir la libre circulation de tous les citoyens de l'UE ».

 

D'autres déclarations sont déjà plus nuancées et visent surtout à faire pression. Le ministre français des Affaires étrangères a rappelé que la Suisse effectue 60 % de ses échanges avec l’Europe et ne constitue pas « une puissance économique considérable ». Et le ministre allemand a fait remarquer que la Suisse sera « pénalisée en premier lieu », car elle « bénéficie économiquement de son image de pays au cœur de l'Europe et ouvert sur le monde ». « La liberté de circulation est pour nous un bien de haute valeur, la chancelière l'a toujours souligné, il appartient désormais à la Suisse, au gouvernement suisse, après le résultat de ce référendum, de se rapprocher de l'UE et d'expliquer comment elle entend composer avec ce résultat.Les institutions européennes tireront alors toutes les conséquences politiques et juridiques de ce vote »... L'Allemagne est le premier partenaire commercial de la Suisse.

 

Pour le moment, les choses n'en sont pas là.

  • La Suisse ne signera pas l'accord prévu de libre circulation avec la Croatie.

  • Bruxelles a indiqué que mettre fin à l'accord de libre circulation, tous les autres accords liant Berne à l'UE seraient dénoncés ipso facto.

  • L'UE a gelé la participation suisse à deux accords : Erasmus pour les échanges d’étudiants et Horizon 2020 sur la recherche.

  • Des négociations en cours, concernant un accord sur l'électricité, ont été suspendues unilatéralement par Bruxelles, à titre de représailles, alors qu'elles étaient presque achevées. Ce qui risque de poser un problème important pour l'Allemagne engagée dans la transition énergétique car elle est « encore dépendante des montagnes suisses ».


    Il est probable que les négociations seront difficiles pour aboutir, plus ou moins démocratiquement, à un accord entre la Suisse et l'UE. Ce n'est pas impossible car le plus important, pour les gouvernements de l'UE, c'est la préservation du marché unique. Pour le reste des accommodements sont toujours possibles.

    Jusqu'à maintenant, l'immigration faisait l'objet de querelles essentiellement nationales. Elle devrait devenir un sujet de débat des prochaines élections européennes avec la question de la libre circulation des ressortissants européens : liberté d'installation, frontaliers et peut-être aussi « travailleurs détachés » alors qu'une directive est en préparation. Elle vient s'ajouter à la crise, à l'euro, à la politique austéritaire de la troïka et des gouvernements. En attendant l'Ukraine ?

    Ces élections européennes seront peut-être les premières à se dérouler sur des thèmes envisagés à l'échelle européenne et non plus simplement nationale. D'autant qu'elles joueront un rôle important dans la désignation du prochain président de la Commission européenne.



    Cette
    européanisation des élections européennes est un progrès. Il faut espérer qu'il sera accompagné d'un large débat sur la nécessaire démocratisation des décisions.
    A défaut, les peuples continueront à se détacher chaque jour davantage de la chose politique. A se replier sur eux mêmes.
    A dire « non » quand ils pourront s'exprimer librement. Et finalement à chercher d'autres moyens de s'exprimer.

 

 





 

 

 

 

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