Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 13:42


Raymond Marcellin, ancien ministre de l'Intérieur, a dit  (citation de mémoire): « Quand la  police intervient, c'est que, quelque part, un ministre n'a pas fait son travail ». Autrement dit, quand il a laissé les problèmes s'accumuler. Quand le mécontentement éclate, la police est sommée d'intervenir pour rétablir l'ordre.
Transposé en politique internationale, cela peut s'appliquer au droit d'ingérence : il est question d'une intervention extérieure quand la situation s'est suffisamment dégradée pour qu'éclatent des troubles. Mais, les États n'interviennent pas, ou pas seulement,  pour des raisons humanitaires, mais par intérêt. Le droit d'ingérence n'existe pas mais le devoir d'ingérence existe, non en fonction de l'intérêt des populations concernées mais en fonction de l'intérêt de l'État intervenant. Le droit ou le devoir d'ingérence, n'est pas ce qu'on appelle la guerre ?

Personne n'évoque le droit d'ingérence contre la  Chine, à propos du Tibet par exemple. Le morceau est trop gros pour que quiconque s'en mèle. De même, que dans certains États inféodés à la Russie mais on sait que la Russie combat le terrorisme... Le droit d'ingérence est un droit que s'arrogent les États assez puissants pour pouvoir l'exercer contre un État plus faible. La guerre mais du fort au faible.

Pour des raisons humanitaires, il faudrait intervenir dans de nombreux pays :
En Cote-d'Ivoire, le gouvernement en place ne reconnaît pas les résultats d'une élection qui s'est déroulée sous le contrôles des observateurs de l'ONU. Des troupes internationales sont en place.  Des affrontements de plus en plus violents ont lieu. La communauté internationale, la communauté africaine poussent le gouvernement en place, sans aucun mandat depuis des années, à partir ou à négocier... Que va-t-il se passer ? Intervention ou non ? Avant ou après les massacres ? Pour le moment la Libye... alibi ?

Au Yemen, tous les jours des manifestants pacifiques sont tués par le président en place, l'Occident lui conseille la modération et craint que le remplaçant éventuel ne soit pas aussi efficace contre le terrorisme. Et en Syrie. Et au Bahrein où l'Arabie saoudite, pays démocratique, intervient, à la demande du gouvernement certes, pour réprimer des manifestants pacifiques. Mais tous sont es alliés contre le terrorisme...

On pourrait faire un tour du monde et trouver des dizaines d'États avec lesquels les États occidentaux ont d'excellentes relations, avec lesquels ils commercent fructueusement, auxquels même ils vendent des armes qui ne peuvent servir qu'à la répression. Dont ils blanchissent l'argent volé à leur peuple....

La Libye de Kadhafi, après des débuts de « gauche », est devenu un État voyou, réellement, (attentats, otages) et quelque temps après ou en même temps, un État avec lequel on pouvait entretenir d'excellentes relations. En 2007, la France signait un mémorandum en vue de la « réalisation de projets de production d'énergie nucléaire et de dessalement de l'eau » (1) ; en 2009, il était prévu « la constitution d'une unité de même type que le RAID » (1). Il était même question de « partenariat global ».
Lors des révoltes au Maghreb, c'est d'abord l'arrivée éventuelle d'immigrants qui a préoccupé le gouvernement. Pourtant il savait, par un rapport parlementaire, que les migrants étaient traités de façon particulièrement rude en Libye. Cela n'avait pas empêché de dérouler le tapis rouge à Paris pour ce potentat qui a pu s'essuyer les pieds.(Rama Yade)

La France n'est pas le seul pays fournisseur d'armes . Les principaux fournisseurs d'armes européens de Kadhafi sont dans l'ordre : l'Italie, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne (2).

A l'Onu, il n'y a pas si longtemps, la Libye a présidé le Conseil des droits de l'homme. Et voilà qu'aujourd'hui, on vient de voter sa radiation (3). Question de logique des textes car il est difficile d'adopter la résolution 1973 et de garder la Libye dans ce conseil. Mais La Libye a-t-elle tellement changé entre temps ? Combien de pays devraient être radiés de ce conseil ?

Intervention pour renverser Kadhafi ? Non, pour protéger les populations civiles. Sans débarquement de troupes. En même temps, les uns et les autres proclament que Kadhafi doit partir. En attendant, on immobilise son aviation, on bombarde ses troupes, on gèle ses avoirs à l'extérieur... Tiens, lui, sa famille, ses amis avaient des avoirs à l'extérieur et on ne les avait jamais gelés... Pas même pour indemniser les victimes des attentats. Pour libérer les otages.

En réalité, pour le moment, l'intervention idéale a réussi, sans pertes humaines occidentales. Les militaires occidentaux, professionnels, tuent, seulement des militaires  de Kadhafi, mercenaires ! Chaque jour, en Irak, en Afghanistan, l'intervention entraîne des pertes de militaires occidentaux : ici, ce ne devrait pas être le cas. Mais on retrouvera les effets collatéraux... sur les populations civiles. Il n'en est pas encore question sauf dans la propagande de Kadhafi.

Sur quoi va déboucher l'intervention ? Va-t-elle continuer à traquer les forces gouvernementales qui resteront dans les villes, avec risques graves pour la population ?
Va-t-on armer les opposants pour qu'ils puissent combattre à armes égales ? Finira-t-on par aller leur donner un coup de main ? Ou envoyer des troupes de l'Onu pour s'interposer ? Avancer vers une partition ? Avec en arrière plan l'enjeu du contrôle du gaz et du pétrole libyen ?

Des visions plus optimistes peuvent être envisagées : un coup d'État interne sans succès à ce jour.
Une négociation, probablement en cours, entre Kadhafi et les alliés. Acceptera-t-il ? Il est probable que son fils Saïf el Islam dont on n'entend plus parler depuis quelque temps y travaille. Peut-être avec une partition temporaire (?) qui permettrait au bout de quelques années une réconciliation ou un nouvel équilibre.

Quoi qu'ill en soit, l'intervention risque d'être plus longue que prévu. Elle ne pourra, si on veut éviter aux populations civiles les règlements de compte, rester purement aérienne.

L'intervention en Libye est une intervention occidentale, plus exactement francaise, britannique et américaine, légitimée par l'Onu avec les moyens de l'Otan sans lesquels elle serait impossible.

La résolution 1973 , adoptée le 17 mars 2011, a été présentée  au Conseil de sécurité par la France, le Liban et le Royaume-Uni. Ont voté pour l'Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, la Colombie, les États-Unis, la France, le Gabon, le Liban, le Nigeria, le Portugal et le Royaume-Uni ; cinq membres se sont abstenus : l'Allemagne, le Brésil, la Chine, l'Inde et la Russie  (4).

Premier constat, une fois de plus, l'inexistence de l'Union européenne et notamment de Catherine Ashton, sa représentante pour les affaires étrangères, qui ne semble avoir joué aucun rôle. Il faut cependant noter que les 27 étaient loin d'être unanimes : participent à la coalition la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Belgique, le Danemark, la Grèce,  l'Espagne, la Norvège (5).

En plus du Liban qui a présenté la résolution, ce qui lui a donné une couverture arabe, l'intervention a été soutenue, au début, par la Ligue arabe. En fait, soutiennent aussi l'intervention, la Jordanie, les  Émirats arabes unis qui ont promis, au départ 24 avions, puis 12...  Seul le Qatar s'est engagé franchement, avec 4 avions, le financement de l'insurrection de Benghazi et la chaîne satellitaire Al Jazeera  (6). Pour les autres membres de la Ligue arabe, il serait intéressant de savoir qui a voté le soutien... Personne n'en parle, il ne faut pas compromettre l'avenir...
Quant à Amr Moussa, représentant de la Ligue arabe, quelle est sa position. Faut dire qu'il est plus ou moins candidat à la candidature à la présidence de l'Égypte et que celle-ci ne participe pas à la coalition.

La plupart des pays africains sont opposés à cette intervention, le souvenir de certains financements ? Mais les 3 États du Conseil de sécurité, Afrique du Sud, Nigéria, Gabon ont voté en faveur du recours à la force (7).


Les raisons de Sarkozy peuvent être multiples. Il a complètement manqué le train tunisien, le train égyptien, il ne fallait pas rater celui-ci. Les sondages étaient catastrophiques, Sarkozy comptait sur sa présidence des G8 et G20 pour redorer son blason comme lors de sa présidence de l'UE... ça ne marchait pas fort. Prendre l'initiative pouvait montrer qu'il est l'homme des circonstances graves et améliorer son image.
Une bonne occasion se présentait pour faire oublier aussi les cantonales. Il a sauté dessus au point d'humilier son ministre des Affaires étrangères, de reconnaître, un peu rapidement, le Conseil national intérimaire libyen comme seul représentant du peuple libyen et il s'est empressé de faire intervenir les Rafales sans en avertir les autres membres de la coalition. Notre représentant de commerce en matériel de guerre a bien saisi l'occasion.

Sarkozy, « l'américain » du temps de l'interventionniste Bush, s'est propulsé à l'avant garde de l'interventionnisme devançant même Obama le prudent. Il joue les chefs de guerre, oubliant les réalités matérielles qui font que rien n'est possible militairement sans l'Otan. Il n'est pas sûr que cette « gloire militaire » soit suffisante pour sauver son quinquennat. Elle n'a pas sauvé les cantonnales ! D'autres épreuves nous attendent.

Un de ses ministres, le plus proche, a parlé de « croisade » (à usage interne), quand lui-même dit ne pas vouloir de l'Otan, pour gommer cet aspect et pour éviter une opposition de la Turquie qui en est membre.


Pour le moment, l'intervention a bloqué la progression des troupes de Kadhafi et le massacre des populations civiles, ce qui était le but affiché. C'était le plus urgent et le plus facile étant donné le rapport de forces militaires. Reste à trouver les moyens de remettre en marche, en Libye aussi, le printemps arabe. Ce sera probablement plus difficle.

1.Le Monde 23/03/11.
2.Revue de la presse allemande 17/03/11.
3.Le Monde 26/03/11.
4.Wikipedia.
5.LeMonde.fr 22/03/11.
6.Le Monde 22/03/11.
7.Le Monde 22/03/11.

 

 

Quelques coupures de la Presse internationale :

Le rôle de Nicolas Sarkozy paraît d'autant plus important que "Hillary Clinton joue une partition inusitée dans les annales des interventions armées américaines : l'humilité", analyse le Washington Post. Et The Economist prévient : "Si l'opinion publique française salue le renouveau de la crédibilité nationale, elle n'a pas encore été préparée à une longue et sale guerre." LeMonde.fr 21/03/11.

"Les Français aiment avoir un chef de l'Etat actif sur la scène internationale",  et "une bonne crise", c'est peut-être ce dont avait besoin Nicolas Sarkozy, note un diplomate cité par le Guardian.

Il s'agit de reprendre la main, un an avant une élection présidentielle qui s'annonce difficile. Mais aussi de faire oublier les errements de la diplomatie française lors des récentes révolutions en Tunisie et Egypte, et l'accueil fait à Kadhafi fin 2007, "avec tous les honneurs" et "de bonnes affaires", souligne Die Welt allemand.

S'y ajoutent des "raisons personnelles", selon The Economist : "Kadhafi l'avait traité de clown et son fils Saïf Al-Islam a allégué sans preuve que la Libye avait participé au financement de sa campagne présidentielle de 2007".

 New York Times : "les premières sorties aériennes françaises, qui n'étaient pas coordonnées avec les autres pays, ont mis en colère certains dirigeants réunis à Paris, selon un haut diplomate d'un pays de l'OTAN. Celui-ci a ajouté que le mouvement des troupes de Kadhafi était clair dès le vendredi, mais que la France avait bloqué tout accord de l'OTAN dans l'attente de la réunion de Paris."
“Nous devrions tous remercier et louer le nouveau shérif de la ville, le président français Nicolas Sarkozy , écrit John Guardiano. Viva La France! (sic)”. “Qui aurait pu imaginer que la France produirait un président plus pro-américain que le notre ?” enchaîne Aaron Goldstein, sur le blog de l’American Spectator. Great America Libération.fr 21/03/11.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Paul ORIOL
  • : Réflexions sur l'actualité politique et souvenirs anecdotiques.
  • Contact

Texte Libre

Recherche