Le vainqueur des dernières élections municipales est, sans discussion, le parti des abstentionnistes. Mais ce n'est pas une nouveauté. Ce n''est réservé ni aux élections municipales, ni à la France.
Élections municipales
Le tableau n°1 permet de voir que le taux d'abstentions lors des municipales est en constante et régulière augmentation depuis 1977 et 1983,
Tableau n°1 : Taux d'abstentions aux municipales en % des inscrits (Le Figaro 31/03/14)
Année | Premier tour | Second tour |
1959 | 25,1 | 26,1 |
1965 | 21,8 | 29,2 |
1971 | 24,8 | 26,4 |
1977 | 21,1 | 22,4 |
1983 | 21,6 | 20,3 |
1989 | 27,2 | 26,9 |
1995 | 30,6 | 30 |
2001 | 32,6 | 31 |
2008 | 33,5 | 34,8 |
2014 | 36,5 | 36,3 |
La décentralisation, imparfaite certainement, de 1982-83 et de 2002-03, n'a pas empêché cette détérioration de la participation.
Élections régionales et cantonales
L'évolution est comparable aux élections régionales et cantonales (tableau n°2) avec des taux bien plus élevés. Si la commune a une certaine signification, si le maire est relativement connu, que veut dire canton, conseiller général ou conseiller régional pour la majorité des citoyens ?
Tableau n°2 : Taux d'abstentions aux régionales et cantonales en % des inscrits
Élections régionales | | Élections cantonales (1er tour) |
Année | Abstentions | | Année | Abstentions |
1986 | 25,2 | | | |
1992 | 34,5 | | 2001 | 34,52 |
1998 | 44,9 | | 2004 | 36,09 |
2004 (1er tour | 37,88 | | 2008 | 35,11 |
2010 (1er tour) | 53,64 | | 2011 | 56 |
Nul ne connaît ni les élus et ni même le président de ses différentes structures, l'étendue de son pouvoir, sauf s'il … cumule.
Alors qu'on répète à satiété qu'il faut supprimer un échelon du « mille-feuilles » administratif, la dernière réforme a ajouté les conseillers communautaires (loi portant réforme des collectivités territoriales du 10 décembre 2010)– élus par fléchage ! (loi électorale du 17 mai 2013)- lors des municipales. Quel électeur sait pour quoi faire ?
Dans son discours d'investiture, le Premier ministre vient d’annoncer la suppression des conseillers généraux et la diminution du nombre de régions. Les premiers cris de douleur se font entendre.
Élections législatives
Le tableau n°3 reprend les résultats de toutes les élections législatives de la Vème République. Le taux d'abstentions le plus bas est de 16,8% pour le premier tour et 15,1 pour le second, en 1978 tour. Depuis, il monte inexorablement 42,78 et 44,59 % en 2012.
Tableau n°3 : Taux d'abstentions lors des élections législatives en % des inscrits
Date | Abstentions premier tour | Abstentions second tour |
---|
1958 | 22,8 | 25,2 |
1962 | 31,3 | 27,9 |
1967 | 18,9 | 20,3 |
1968 | 20 | 22,2 |
1973 | 18,7 | 18,2 |
1978 | 16,8 | 15,1 |
1981 | 29,1 | 24,9 |
1986 | 21,5 | Pas de second tour (proportionnelle) |
1988 | 34,3 | 30,1 |
1993 | 30,8 | 32,4 |
1997 | 32 | 28,9 |
2002 | 35,6 | 39,7 |
2007 | 39,6 | 40,0 |
2012 | 42,78 | 44,59 |
Élections au Parlement européen
Depuis que les députés au Parlement européen sont élus au suffrage universel, le taux d'abstentions augmente régulièrement sauf en 1994 (conséquence l’adoption du traité de Maastricht par référendum après large discussion ?). Ici encore, l'extension progressive des pouvoirs du PE n'a pas entraîné d'inversion de la courbe (tableau n°4).
Tableau n°4 : Taux d'abstentions aux élections européennes en % des inscrits
Date | 1979 | 1984 | 1989 | 1994 | 1999 | 2004 | 2009 |
Abstentions | 32,29 | 43,28 | 51,2 | 47,29 | 53,24 | 57,21 | 59,37 |
Jusqu'ici, les élections européennes ont joué le rôle de énième tour des élections nationales. Faut-il croire que la montée du « populisme », de l'euroscepticisme, l’augmentation des pouvoirs du PE à la suite du traité de Lisbonne, notamment le fait que les chefs d’État et de gouvernement devront tenir compte du résultat de ces élections pour désigner le président de la CE, faut-il croire que ces nouveautés vont entraîner une pointe de participation ?
En désignant un candidat à la présidence de la CE, les partis politiques européens essaient de rééditer le Serment du jeu de Paume et de prendre le pouvoir d'élection du président de la CE. Donc augmenter le poids du PE au sein des institutions européennes, ce qui devrait jouer sur la mobilisation des démocrates européens, entre autres.
En tout cas, le passage de Harlem Désir aux Affaires européennes parce qu'il n'a pas donné satisfaction au Parti socialiste, comme la nomination comme tête de liste en Île de France de l'ancien ministre de l’Éducation nationale, sans porter de jugement sur leurs aptitudes européennes, montrent le peu d'importance que le président de la République et le premier ministre accordent à l'Union européenne. A un mois des élections !!! Pourquoi les électeurs feraient-ils mieux ?
Électionsprésidentielles
De toutes les élections, seule l'élection présidentielle voit son taux d'abstentions varier de façon limitée et « aléatoire » avec, comme valeurs extrêmes,15,2 % en 1965 (Mitterrand met en ballottage le général De Gaulle) et 28,4 % en 2002 pour le premier tour et 12,7 % en 1974 et 20,3 % en 1995 et 2002 pour le second tour. Avec une pointe exceptionnelle à 31,1 % en 1969 au second tour. qui peut s'expliquer par le refus des électeurs de gauche, ayant voté pour le candidat du PCF arrivé en troisième position, de choisir entre « blanc bonnet » et « bonnet blanc ».
Les référendums.
Le taux d'abstentions aux référendums est particulièrement variable : les plus faibles sont en 1958 (15,8 %, Constitution de la V° République) et en 1969 (19,4 %, référendum portant sur les régions et la réforme du Sénat dont l'échec a entraîné le départ du général De Gaulle). Il est évident que ces deux référendums étaient particulièrement importants et dramatisés. Ont aussi connu une forte participation : les référendums sur l'autodétermination de l'Algérie (23,5% d'abstentions), les accords d'Évian, reconnaissant l'indépendance de l'Algérie, (24,4% d'abstentions) et l'instauration de l'élection du président de la République au suffrage universel (22,8 %).
Au contraire, le taux d'abstentions a été particulièrement élevé sur le statut de la Nouvelle Calédonie (63%) et encore plus sur le quinquennat (69,8%) dont les électeurs ont ainsi reconnu, contrairement aux politiques, qu'ils ne comprenaient pas le sens de cette réforme...
Deux référendums portaient sur l'organisation de l'UE et ont été fortement discutés, au delà des partis politiques, par une partie importantede la société civile. Ils ont eu le même taux d'abstentions : 30,3 % en 1992 pour le traité de Maastricht (approuvé)et 30,6 % pour le projet de traité constitutionnel (rejeté). Taux qui contrastent avec ceux constatés lors des élections européennes.
Remarques 1
Le référendum pour l'élection du président de la République au suffrage universel a mobilisé 78,2 % des électeurs inscrits (62,25 % de réponses favorables). Logiquement, cette élection est la plus prisée des citoyens, en comparant les taux d'abstentions. C'est la seule élection pour laquelle la participation se maintient.
Pour tous les autres types d'élection, le taux d'abstentions augmente régulièrement depuis la fin des années 70 aux élections municipales (1977 premier tour, 1983 second tour) et législatives (1978). Quant aux élections régionales et européennes, la participation diminue depuis leur instauration.
Pour prendre une mesure plus exacte de la désaffection des Français pour le suffrage universel tel qu'il est organisé actuellement, il faudrait tenir compte aussi de l'importance des personnes qui ont le droit de vote et qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. Selon plusieurs études de l'Insee, environ 4,9 millions de Français ne sont pas inscrits ou croient ne pas l'être (données 2004), soit un pourcentage entre 10 % et 13,3 % du corps électoral sur les neuf dernières années.
Au total, c'est une minorité des Français qui participent à la plupart des élections en France, en dehors de l'élection présidentielle.
A l’étranger
Les chiffres varient d'un pays à l'autre, même si, dans l'ensemble, on peut noter un baisse de la participation. Dans les pays européens, les élections législatives attirent entre 50 et 90% des citoyens vers les urnes et, comme toujours, les pays « vertueux » sont plutôt les pays nordiques. Il faut mettre à part, le Luxembourg et la Belgique où le vote est obligatoire et où, logiquement, la participation est plus importante : au Luxembourg, l'abstention touche 0 à 8 % des citoyens et en Belgique, 9 % en moyenne.
En Suède, le taux d'abstentions est, à peu près stable, depuis des années, entre 15 et 20%. : 10,1 % en 1985, 18,6 % en 1998, 19,89 % en 2002, 18,01 % en 2006 et 15,37 % en 2010. Au Danemark voisin, les chiffres sont comparables entre 12 et 16 % d'abstentions.
En Allemagne, le taux d'abstentions aux législatives, encore relativement faible,va croissant :9 % en 1972, 10,09 % en 1983, 21,0 %en 1994, 17,8 % en 1998, 29,22 % en 2009, 28,45 % en 2013. Il en est de même en Autriche : lors des élections législatives : 9,5 % en 1986, 18,1 % en 1994, 22 % en 2008. De façon encore plus nette, lors des présidentielles où ce taux est passé de 3,1 % en 1951 à 29,4 % en 2004 et 46,43 % en 2010.
En Italie, le vote était obligatoire jusqu'en 1993. Depuis le changement de législation, le taux d'abstentions augmente aux législatives : 11,1 % en 1987,17,1 % en 1996, 22 % en 2008, 24,96 % en 2013 et atteint près de 40 % aux municipales de 2013
Au Royaume-Uni, l’abstention a progressé 24,6 % en 1987, 28,8 % en 1997 pour atteindre le pourcentage record de 40,6, lors de l’élection générale de 2001, 39 en 2005 et retombé à 34,9 lors de la dernière élection de 2010.
En Suisse, en 2007, l’abstention a été de 52 % aux élections fédérales de 2007. Cet abstentionnisme étonne pour une démocratie modèle dans laquelle le peuple est souvent appelé à participer aux décisions politiques.
La participation aux votations dans la période 2011-14 varie de 25,3 % à 54,1 %, ce qui peut s'expliquer par l'intérêt de la question posée aux yeux des citoyens.
Cette diminution de la participation dans la plupart des pays de l'Europe occidentale, se retrouve dans les anciens pays communistes. Ainsi en Roumanie, le taux d’abstentions augmente de 10% à chaque élection. En 1992, la première élection présidentielle avait attiré 75% de la population. En 2008, seuls 39,2% des Roumains se sont déplacés aux urnes et 41,72 en 2012.
En Hongrie, l’abstention a oscillé entre 25% et 45% lors des élections législatives. En 2010, le taux de participation de 64,2% au premier tour des législatives est tombé à 46,6% au second tour.
En Pologne, la participation était de 55,3 % en 2007 et 48,87 % en 2011. En République tchèque, 62,6 % en 2010 et 59,48 % en 2013.
Il est classique de citer les États-Unis pour leur faible participation électorale. Ainsi, lors de l'élection de Barak Obama,en novembre 2008, l'abstention avait atteint le record historique de 43,2 %. Mais ce taux est calculé en pourcentage de la population (étrangers compris) en âge de voter et non en pourcentage des inscrits.
Remarques 2
A quelques exceptions près, la participation aux élections est faible dans l'ensemble des pays occidentaux démocratique et diminue traduisant un certain désenchantement politique.
Bien entendu, il existe des raisons spécifiques dans chaque pays : ici un « bon » système électoral qui favorise la participation, dans les pays nordiques, là un « mauvais » système qui empêche l'expression des minorités (Royaume-Uni), ailleurs une trop grande fréquence des consultations (Suisse), la corruption (partout?)....
Mais si de tels facteurs peuvent contribuer aux abstentions, ils ne sont pas présents dans tous les pays et, surtout, ne peuvent expliquer le déclin de la participation, « à système constant ».
La France a ses maux particuliers : le cumul ou le renouvellement perpétuel des mandats qui donne des pouvoirs à certains barons locaux qui ne seront évacués qu'à l'occasion d'une vague bleue ou rose et encore. En tout cas, le refus des cumuls par « l’opinion publique » d'après les sondages, n'empêche pas les électeurs de voter pour eux.
Ni le « tous pourris ». Comme le note, cynique et méprisant, l'orfèvre en la matière qu'est Patrick Balkany, député-maire de Levallois-Perret, réélu dès lepremier tour et pour son cinquième mandat, lors des dernières élections municipales : «Si on n'investit que ceux qui n'ont pas été condamnés par la justice, on n'a plus de candidats dans les Hauts-de-Seine.»
Et Jean-Noël Guérini, sénateur, président du Conseil général des Bouches du Rhône ne le conteste pas, lui qui n'hésite pas à faire des listes de petits camarades : «Il y a 57 élus socialistes, maire de grandes villes, parlementaires ou présidents de conseils généraux, qui ont été mis en examen ou condamnés et qui continuent à occuper d'éminentes fonctions.»
En France et dans d'autres pays de l'Union européenne, il a été noté que l'abstention touche plus les jeunes ce qui fait penser que la courbe de la participation ne va pas se redresser. Les jeunes et les couches sociales les moins favorisées qui ont le plus intérêt à se mobiliser pour essayer de changer les choses à venir.
Ont-ils complètement tort de ne pas participer ? Par indifférence ou désespérance ?
Il est certain qu'il existe des taux « structurels » de non-inscriptions ou d'abstentions parmi les inscrits : radiés, malades, personnes âgées, en déplacement, non-intérêt pour la chose publique... Au delà, les variations dans le taux d'abstentions s'explique par l'intérêt de la consultation ressenti par les électeurs.
On a vu que la participation aux référendums était liée à l'intérêt de la question posée. Le référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel a obtenu une bonne participation. Logiquement, l'élection du président de la République est l'élection qui entraîne la participation la plus importante et la plus constante.
Et si l'élection présidentielle de 1969 a connu la plus faible participation, c'est probablement par manque d'enjeu et de choix pour lés électeurs de gauche.
Quel que soit le type d'élection, il est frappant de constater que l'abstention de ne cesse de croître en France depuis 1978-83, c'est à dire depuis que le grand espoir de changement a été trahi. Depuis cette date, médias et politiques répètent, presque à l'unisson, qu'une seule politique est possible. S'il n'y a pas de choix politique, pourquoi choisir parmi les candidats ?
Mais dés qu'un choix réel ou imaginaire apparaît, naît une mobilisation malheureusement rapidement déçue car il n'est pas tenu compte de la réponse populaire si elle ne correspond pas au désir de ceux qui détiennent le vrai pouvoir. On l'a vu avec le référendum sur le projet de traité constitutionnel qui, refusé par référendum, a été adopté par le Congrès après être passé chez les esthéticiens.
Comment ne pas comprendre la désaffection pour la majorité aux dernières municipales quand la politique économique et sociale du gouvernement est aussi en contradiction avec les discours électoraux, comme celui du Bourget. Quand le candidat se fait élire sur un programme qu'il n'applique pas une fois élu.
Même s'ils ne sont pas tous lucidement désespérés, les abstentionnistes et d'autres qui continuent à voter sans trop d'illusions, savent que les politiques ont vendu leur droit de primauté sur le politique pour quelques lentilles, qu'ils ont abandonné le pouvoir politique aux financiers...
Cependant, les citoyens n'ont pas totalement renoncé. Mais pour qu'il y ait mobilisation, il faut un minimum de crédibilité. Ce n'était pas le cas lors des dernières élections municipales, notamment à Paris.
A droite, NKM a été parachutée dans un maquis où la guerre faisait rage entre petits et grands chefs.
A gauche, les Verts au gouvernements conduisaient des listes autonomes en concurrence avec celles du PS. Le PC, dans l'opposition au gouvernement, faisait liste commune avec le PS, pour l'obtention de quelques sièges, se séparait de ses alliés du Front de gauche avant de le réintégrer pour les élections européennes !!!
A droite comme à gauche, ces querelles entre frères ennemis ne sont pas la meilleure image que peuvent donner les partis pour attirer les abstentionnistes.